image

A L'heure des rituels

Parmi les rituels de Pamplona, l'apartado des Toros, un peu avant treize heures, rythme la longue journée : la Feria de San Fermin est la seule du monde à commencer chaque matin à huit heures, avec le célèbre encierro qui mobilise, dans la rue, sur les gradins des arènes, sur les barrières de bois ou les nombreux balcons du parcours, le peuple tout entier des aficionados. Du coup, la journée est longue, qui débouche à dix huit heures trente sur la corrida du jour. Il y a bien les deux œufs au jambon sur le coup de neuf heures, qui tiennent lieu de toasts de circonstance. Mais c'est toujours plaisant de retrouver à une heure de l'après-midi, dans les corales des arènes, les toros qu'on a cru frôler le matin même. Tiens, y avait un marron ? Je l'ai pas vu passer, celui-là !... Alors les familles se pressent, sur les passerelles, les escaliers, au dessus des chiqueros et des trapes, pour assister au manège. Les cabestros font un dernier boulot, un par un, pour conduire à leur dernier placard individuel chaque toro, inquiet, frémissant. On fera bien sûr toujours la même expérience : ce toro noir, n°119, dont on a suivi la course ce matin, qu'on a trouvé superbe, on ne le reconnaît pas ce midi, tête haute, qui suit le cabestro dans le couloir. Qu'on se rassure : ce soir, lorsqu'il sortira en piste, en quatrième position, jaillissant du toril dans le bordel assourdissant du public, on le reconnaîtra encore moins. On aura vu trois toros dans la journée. Trois toros. Le même.

image

Pour l'heure, le sort est jeté. Le tirage au sort a réparti les six toros du jour, et il ne reste plus qu'à les enfermer. Le speaker de la Casa de Misericordia présent un à un les animaux, dit un mot sur le matador qui devra les affronter, et glisse ça et là une anecdote historique survenue dans le coso, "là, juste derrière vous", en 1937 ou 1965... Ça parle souvent d'Hemingway, à croire que c'est la seule vedette qui soit venue ici.
À part ça, dans les deux petits bars des corales, on sert, avec de la bière fraîche, quelques petits chorizos frits cloués sur du pain avec un pincho. La manière dont ils résonnent avec les œufs de neuf heures est tout à fait étonnante.

image

Autrement, dans la soirée, aucun des toros n'a semblé nous reconnaître !
Ces jours-ci, tout le monde torée à genoux, sauf le Juli qui est déjà petit...
Juan José Padilla est un homme de spectacle. Même son brindis insistant et interminable au ciel sentait les congés spectacles : "Ça y est, c'est bon ? Tout le monde a la photo ?" Je ne mets sûrement pas ici en doute sa sincérité, qui est vraisemblable. J'interroge seulement sa manière de la mettre en scène. On me dira que les toreros, tous les toreros, sont là pour mettre en scène leur affrontement avec le toro, pour embarquer les gens, pour faire naître la magie. C'est évident, mais on peut préférer Maria Casares dans le "Prince de Hombourg" à Jackie Sardou dans "Le Clan des veuves". Avec tout le respect.
Après, devant le toro, le type ne fait pas semblant. Ses notes de couturier sont là pour en attester. Sans parler de son ophtalmo.
Il a coupé une oreille molle à son premier.
Le Juli tue désormais quasiment au quiebro. Les contrepieds, c'est formidable au rugby, c'est toute la légèreté de ce jeu merveilleux. C'est encore original aux banderilles, mais pour l'estocade, c'est pas sûr que ça fasse école...
A son second Victoriano, un bon toro dont on apprécia le galop et l'entrain (mais dont on discutera le tour de piste posthume : en fin de faena, il aurait bien aimé se réfugier aux planches, ce qui n'est pas très glorieux) il coupa deux oreilles méritées. Après tout, dans deux jours, c'est fini...
Quant à López Simon (une oreille au sixième, une girafe désordonnée), que l'on voyait pour la deuxième fois en deux jours, on se demande si ça fait pas trop...

image

Photo Maurice Berho