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Oloroso 3

Troisième épisode

Par Elvire Oliu Imbart

 

 

- Désolé, mais là il va vraiment falloir que j’y aille, dit Fosca…

La voisine-qu’il-aimait-bien grogna un vague « Putain, c’est bon, j’me lève ». Il l’aimait bien cette voisine rousse et jeune qui ponctuait toutes ses phrases d’un « Putain ! ». Fosca ne savait pas trop ce qui la poussait à venir s’encanailler avec un commissaire divisionnaire légèrement dépressif, mais bon… Il savait par sa vieille mère que la lecture intensive des enquêtes du commissaire Maigret provoquait des orgasmes dans les maisons de retraites.

Ils firent semblant de prendre un café ensemble. Le café d’après une nuit avec quelqu’un que l’on n’aime pas est rarement bon. Mais alors celui-là battait tous les records. Fosca avait de grandes théories sur les relations entre les hommes et les femmes. Et quelques habitudes. Par exemple, il faisait exprès de faire un café déguelasse pour éviter toute forme d’attachement.

- C’est quoi ce carton sur la table? Demanda-t-elle

- Une longue histoire…

- Ben putain ! Quand tu voudras raconter, tu sais où j’habite ! lui lança la rousse en sortant de chez lui.

Raconter quoi ? Fosca se retrouva seul dans sa cuisine. Il fixait le bout de muleta qui sortait du carton.

Raconter cette rencontre avec Jean en sortant de TD de droit constitutionnel, ou raconter comment ce dernier l’avait complètement rendu obsédé par les toros ? Jean était autant nîmois que Pierre était biterrois. Ils se retrouvaient à Montpellier la surdouée pour les mêmes raisons. Le père de Jean Dombre travaillait pour la mairie de Nîmes et faisait parti de la commission taurine.

Ils avaient pris l’habitude de picoler au bar du Musée, rue du Montpellieret, à quelques encablures de la rue de l’Université. Là bas, ils refaisaient le monde. Surtout le mundillo… Fosca et son désormais meilleur ami faisaient tous les festivals du coin : Vauvert, Aimargues, Bellegarde, et bien sûr les ferias de Nîmes.

Ils mettaient en fiches cartonnées tous les toros et tous les toreros. Ils se renseignaient sur les élevages, les encaste, et petit à petit, devenaient fous de toros. Plus que de simples aficionados, ils franchissaient même, quand ils le pouvaient, la grande barrière : ils se mettaient devant des vaches le plus souvent possible. Comme à une drogue dure, ils devenaient accros à cette adrénaline spéciale du toro, à l’odeur animale et à la sueur de leurs angoisses primitives.

Ils consultaient plus souvent leur Cossio que leur code de procédure pénale.

Un jour de novembre, Jean prit la décision de quitter la fac. Il voulait devenir toréro.

Pierre décida de le suivre. Rien ne pouvait les retenir. La folie taurine les habitait. Ils se voyaient en maletillas romantiques, l’espérance de gloire en bandoulière et leur cape en baluchon. Leur décision était prise : ils partiraient, direction le campo Charro ou plus au sud, l’Andalousie…

 

- Bon qui est là ? demanda Fosca à l’accueil du commissariat. Il avait convoqué des représentants de la cause animale, les plus extrémistes en matière de lutte contre la corrida, et il avait réussi à mettre la main sur la blonde qui était sans doute la dernière à avoir vu Mirande vivant, ou en tout les cas libre de ses mouvements.

- Un membre de l’association « les toros sont mignons » est là. Je le fais monter dans votre bureau ? répondit le planton de service.

Fosca posa ses fesses sur son fauteuil et entendit craquer les ressorts. Il se rappela qu’il lui faudrait moins manger. Moins picoler, aussi.

- Je vous en prie, entrez et asseyez vous. Vous êtes bien Cyprien Lalonde président de l’association «  les toros sont mignons » ?

Fosca ne le laissa pas répondre et enchaina :

- Bon on va aller droit au but : je suppose que vous savez pourquoi vous êtes convoqué ?

- Monsieur le Commissaire je suis venu sans mon avocat et de mon plein gré… tenta l’anti taurin.

- Je m’en réjouis, le coupa brutalement Fosca. Lucien Mirande, le président de l’Observatoire des cultures taurines a disparu depuis plus de 72 heures maintenant. En me rendant sur votre site internet, j’ai pu constater a quel point cela vous réjouissait… je me pose donc des questions… surtout qu’il me semble que vous avez personnellement des problèmes avec lui. Fosca regarda dans les yeux le grand maigre.

- C’est pas nous, répondit il calmement.

- Et les menaces ?

- Pas nous.

- Vous voulez sa peau, mais rien ne vient de vous, c’est ça ?

- Nous ne voulons pas sa peau… Juste supprimer la corrida en France.

- Vous étiez où, il y a quatre jours entre minuit et quatre heures du matin ?

- Chez moi.

- Des témoins ?

- Mon chat…

Fosca comprit qu’il n’apprendrait rien. De plus il n’avait rien pour lui faire peur. Le grand maigre lui cachait quelque chose, c’était évident. Il fallait trouver un moyen de lui faire cracher le morceau. Il songea tout de suite à son vieil ami Bertrand Libron qui travaillait à la section antiterroriste. Si ses souvenirs étaient bons il existait une cellule d’enquête spécialiste des animalistes. Il se nota d’appeler Bertrand il avait besoin d’infos.

 

Il regretta le deuxième sucre qu’il venait de mettre dans son café, et aperçut une grande et jolie blonde qui consultait frénétiquement son portable toutes les quinze secondes.

En regagnant son bureau, il comprit qu’il s’agissait de l’ « amie » de Mirande, avec qui il avait rendez-vous.

Il se sentit vraiment vieux. Et moche. Et pas rasé. Pour se donner de l’assurance, il bomba un peu le torse.

- Mademoiselle, entrez s’il vous plait fit-il avec son plus beau sourire.

- Madame ! répondit elle très sèchement.

- Désolé, je n’ai pas mention de votre mariage, poursuit-il en tapotant la feuille posée devant lui sur le bureau.

- Je ne suis pas mariée. Mais l’appellation « mademoiselle » est dégradante, et a d’ailleurs été supprimée des documents administratifs par le Conseil d’Etat. Aussi, je vous remercie de m’appeler Madame.

Fosca leva un puis deux sourcils. Soit elle était folle, soit elle était dotée d’un sens de l’humour particulier. Ou aucun des deux, et il était tombé sur une féministe un peu à cheval sur certains principes.

- Très bien Madame… Je vous ai convoqué dans le cadre de l’enquête sur la disparition de Lucien Mirande. Vous êtes sans doute la dernière personne à l’avoir vu… Quelle est la nature de vos relations avec Mirande ? Vous l’avez connu comment ? Il s’est passé quelque chose dans ce bus ? J’ai besoin de saisir sa personnalité aussi. Que pouvez-vous me dire de lui.

Il se rendit compte après coup qu’il bombardait de question un simple témoin… Il tenta de rectifier le tir mais c’était visiblement trop tard. La grande blonde si pleine d’assurance il y avait à peine quelques minutes, s’effondra en larmes.

 

 

« Tu vas souffrir, je te préviens Mirande ! »

Lucien Mirande, qui somnolait, redressa la tête. Il sentit son cerveau bouger dans son crâne, et gémit légèrement. Cette voix qui venait de nulle part continua « Je suis sûr que tu sais pourquoi tu es là, et si tu ne le sais pas, tu le sauras bientôt ». La voix se tue. Mirande ne comprenait rien. Il pensait évidemment aux antis-taurins.

Il finit par se réveiller complètement, et constatât qu’on lui avait libéré les mains, et qu’on avait disposé de l’eau et du pain près de lui. « On me nourrit comme une bête » pensa t-il. Du sang coagulé lui collait le sourcil gauche, et il lui semblait qu’un énorme hématome s’était formé sur son nez.

Il but l’eau, et mangea le pain. Et il eut envie de gerber.

Il gerba les mains appuyées contre le carrelage de sa geôle. Des spasmes d’angoisse le secouaient. Il pensait à ce journaliste de Channel Four au Royaume Uni qui enquêtait sur des éco-terroristes, kidnappé, séquestré et marqué au fer rouge de trois lettres dans le dos « ALF » par ses ravisseurs membres de l’Animal Liberation Front.

Il se mit à trembler. Et sentit la peur. Une odeur âcre qui lui brûla les narines.

 

(à suivre samedi prochain)

 

 

 

 

Elvire OliuElvire Oliu Imbart est née en 1983. Catalane des deux côtés. Jeunesse à Montpellier puis Madrid et Almeria, où elle termine des études de lettres hispaniques, et Paris pour passer son diplôme de journalisme. Elle vit à Paris où elle exerce cette profession. Elle est mère d'une fillette "née 15 jours après la tarde historique de José Tomas à Nîmes en 2012 qui s'appelle Joséphine (mais c'est pas QUE pour ça...)". Les toros depuis toujours. Oloroso est sa première fiction...