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Oloroso 5

Cinquième épisode

Par Elvire Oliu Imbart

 

 

Fosca sortit de l’église avec le sentiment du devoir accompli. Il venait de déposer un cierge à Sainte Rita, dans une des chapelles du déambulatoire de Saint Germain des Près. Sainte Rita était l’objet de sa dévotion depuis toujours. Patronne des causes désespérées, elle lui correspondait parfaitement.

Sa vie était une succession de causes désespérées, et pas seulement sa carrière de torero avortée. A une époque, il était plutôt beau gosse et faisait tomber les femmes comme un barman les glaçons dans un Brandy Martini. La seule qu’il lui avait résistée, Pierre la revoyait encore, avec ses boucles brunes, le narguant avec un air de défi.

Il donnerait cher pour la revoir. Elle aimait les toros à l’époque… Si ça se trouve, il la croiserait lors d’une féria. Hors de question de s’approcher à nouveau d’une arène. Même pour les besoins d’une enquête. Et même si la féria d’Arles n’allait pas tarder...

Fosca refaisait l’itinéraire de Mirande, qui selon les derniers témoins, avait disparu sur le trajet vers son hôtel. Il chercha l’arrêt du bus 68, non loin de la rue du Bac, et en l’attendant, il se remémora l’entretien qu’il avait eu avec Constance, la grande blonde.

Il avait apprit beaucoup de choses. Ce Mirande était décidément plein de ressources. Séchant ses larmes, Constance s’était vite ressaisie :

- Désolée, d’habitude je ne pleure pas comme ça… Mais là, cette histoire me remue… Vous voulez savoir quoi ?

- Quelle est la nature de vos relations avec Mirande ? il faut que je refasse son itinéraire, que j’en sache plus sur lui, son état d’esprit avant sa disparition… D’après certaines personnes vous êtes proche de lui…

- Mes relations ?

- Oui, la nature quoi… bafouilla Fosca. Enfin, vous voyez ce que je veux dire ! Il se mit à rouler des yeux comme un toro.

- Mais vous me prenez pour qui ? hurla Constance. Je ne couche pas avec lui si c’est ça que vous voulez savoir ! Comment pouvez vous imaginer un truc pareil ? Il est marié, je n’ai que 25 ans… et il en a plus de 50 ! Ça va pas non ? Je ne suis pas gérontophile !

- Pardon, Madame, je suis vraiment désolé, mais j’ai besoin de savoir… Continuez, je vous en prie.

- Je connais Mirande depuis 5 ans maintenant. Mon but dans la vie, c’est d’être journaliste taurine, il me guide et il m’aide. C’est tout. J’étais contente de le voir à Paris. On s’entend bien. Même s’il est quand même assez vieux jeu, et qu’il est têtu comme une mule. Dans le bus pour rentrer, il me faisait rire… déjà que j’avais un peu bu, c’était facile… Et puis je suis descendue à Vavin, et il a continué, il devait descendre à Alésia. C’est tout.

- C’est tout ?

Constance avait le regard fuyant et commençait à se tortiller sur sa chaise, Fosca savait qu’elle cachait quelque chose.

- Madame, comprenez que dans ce dossier, la moindre information peut être utile. Et je n’aimerais pas vous convoquer comme témoin assisté… Encore une fois, je n’oublie pas que vous êtes la dernière à l’avoir vu.

- En fait, on s’est un peu engueulé, comme souvent, rumina la grande blonde.

Fosca perdait patience. Il arrivait à lui tirer les vers du nez, mais à ce rythme là, il en avait pour des heures et des heures.

- Et l’engueulade, pourquoi ? souffla-t-il, lassé

Constance se leva, et fit trois pas dans le bureau.

- Monsieur je vais tout vous dire mais j’aimerai que cela reste entre nous.

- N’ayez aucune crainte…

- Je travaille pour Mirande. Je suis… je suis infiltrée dans un groupe anti-corrida pour lui. Ça fait 5 ans, et jusqu’à présent, personne n’est au courant. J’ai une double vie, ici à Paris, et tout à l’heure, quand j’ai vu l’anti taurin que vous avez convoqué, j’ai du aller me cacher aux toilettes. C’est pour ça que j’ai pleuré… J’ai eu peur. Celui-là, je le fréquente un peu pour avoir des infos. C’est un salopard, et il peut devenir méchant…

Fosca s’était figé, et il écoutait la jeune femme avec toute l’attention dont il était capable.

- C’est à cause de ça qu’on s’est engueulé avec Mirande. J’ai appris qu’il y avait un truc qui se préparait contre lui, et il ne voulait pas me croire. En tout cas, il a minimisé le truc, comme à chaque fois, genre « j’ai peur de rien »… Et voilà où on en est aujourd’hui…

 

Sortant brusquement de ses pensées, Fosca sursauta en reconnaissant le rond point de Denfert Rochereau avec son lion imposant, et cette file interminable de touristes devant les catacombes… D’après l’enquête et les déclarations des uns et des autres, Mirande devait descendre à l’arrêt Alésia-Général Leclerc pour se rendre à son hôtel, non loin de là, rue Friant.

Fosca descendit du bus et nota de demander les enregistrements des caméras de la banque située en face de l’arrêt.

Il regarda l’église St Pierre de Montrouge, le bordel ambiant du rond point d’Alésia, et se dirigea vers l’hôtel de Lucien Mirande : des hommes l’attendaient pour perquisitionner la chambre.

 

Lucien Mirande se remettait doucement. Toujours enfermé dans cette salle d’une moiteur insoutenable, il arrivait néanmoins à réfléchir. Il en était certain maintenant : Constance avait raison. Les antis taurins savaient qu’il allait à Paris, et en avaient profité pour l’enlever. Soudain, il sentit une présence derrière lui. Un parfum féminin. Fleur d’oranger et bergamote, se dit-il, comme le thé que boit ma femme. Les antis engagent des femmes pour leurs actions violentes ?

- Il y a quelqu’un ? demanda-t-il

- Oui, moi ! répondit une voix sensuelle… Tu vas souffrir, Lucien, mais pas comme tu l’imagines…

Il entendit un fouet claquer et un rire résonner au loin… et soudain on lui sauta dessus et on lui banda les yeux. Tentant de se débattre, il s’explosa la main contre le carrelage et une vive douleur lui parcourut le bras.

Mais ce n’était rien comparé à ce qui allait suivre :

- Lucien… Tu la sens la mort là ? Et l’angoisse du dernier souffle ? Hein tu sens tout ça ?…

Il respirait mal, il suffoquait… son bâillon lui recouvrait entièrement le visage. Il ne voyait que l’ombre de son bourreau et sentait ce mélange de sueur, de fleur d’oranger et de bergamote qui l’écœurait. Il reçu deux claques bien sonores qui l’envoyèrent valser. Il tomba sur le sol. Des gouttes de sang coulèrent de son nez.

 

 

(à suivre samedi prochain)

 

 

 

Elvire OliuElvire Oliu Imbart est née en 1983. Catalane des deux côtés. Jeunesse à Montpellier puis Madrid et Almeria, où elle termine des études de lettres hispaniques, et Paris pour passer son diplôme de journalisme. Elle vit à Paris où elle exerce cette profession. Elle est mère d'une fillette "née 15 jours après la tarde historique de José Tomas à Nîmes en 2012 qui s'appelle Joséphine (mais c'est pas QUE pour ça...)". Les toros depuis toujours. Oloroso est sa première fiction...