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Oloroso 6

Sixième épisode

Par Elvire Oliu Imbart

 

L’enquête piétinait, et Fosca était d’une humeur de chien. Mirande avait maintenant disparu depuis douze jours. Le président de l’Observatoire des Cultures taurines s’était volatilisé sans laisser de traces, en plein Paris. Les pistes étudiées ne menaient à rien. Tout le monde avait plus d’alibis que le Pape en tournée sud américaine. Les anti taurins avaient été soumis au plus strict des interrogatoires, mais rien, aucune preuve tangible. Leur haine de la tauromachie ne suffisait pas pour les inculper d’enlèvement.

Le commissaire avait mentionné une source, sans trahir Constance, et leur avait dit qu’il savait que quelque chose se montait contre Mirande. Les anti avaient démenti. Mais Fosca ne perdait pas espoir : ses équipes étaient en filatures non-stop et le portable de Lalonde sur écoute. Le commissaire espérait une erreur pour les coincer.

Fosca avait aussi pensé à une querelle interne à l’Observatoire des Cultures Taurines. Une sombre histoire de quéquette plus grosse que celle du voisin. Mirande était certes respecté, mais il en énervait plus d’un avec ses airs de rassembleur universel des forces taurines de la France… Peut être que des jaloux voulaient être calife à la place du calife.

Pierre avait reçu un à un tous les membres du bureau de l’Observatoire. Il avait revu les trois compères qui avaient déclaré la disparition de Mirande. Le philosophe moustachu, le diplomate et le torero avaient des airs de veuves éplorées, rien à se reprocher, et des alibis en béton. Les autres membres de l’Observatoire paraissaient tout aussi étrangers à ce rapt. Sauf si tout ce beau monde avait suivi l’entrainement du Mossad, « comment planifier un enlèvement parfait »...

Fosca avait aussi rencontré la femme de Mirande. Pétrie d’angoisse, elle s’était installée à Paris pour suivre l’enquête. Mais au fond, il n’avait rien à lui dire. Rien pour apaiser sa peur d’affronter le pire. Il avait tenté d’en savoir plus sur leur couple, si à sa connaissance son mari la trompait… Pourquoi pas un crime passionnel ? Mais rien non plus de ce côté là.

Fosca avait donc un homme perdu dans Paris.

Le visionnage des bandes vidéo de la banque située en face de l’arrêt de bus n’avait rien donné. On voyait Mirande descendre du bus, seul, allumer une cigarette, se diriger vers son hôtel, et disparaître du champ de vison des caméras.

Lors de la perquisition de la chambre d’hôtel, les policiers avaient cherché l’introuvable. Il n’y avait rien. Une valise avec des vêtements, un ordinateur, un exemplaire du journal Le Monde de la veille, un Midi -Libre tout froissé, un appareil photo… Rien de transcendant.

Fosca avait fait analyser l’ordinateur et l’appareil photo. Sur l’ordinateur, on avait trouvé un dossier correspondant aux confidences de Constance. Il y avait des mails d’anti taurins, des fiches sur les anti les plus virulents, des photos d’anti en pleines actions… Un sous-dossier intitulé « Constance » contenait quelque chose comme 2000 mails. Pierre Fosca avait passé une nuit entière à les lire. Il se demandait pourquoi Mirande les gardait. Il n’y avait rien de très passionnant… Mais on pouvait deviner la personnalité de Constance à travers tous ces messages. Engagée plutôt à gauche, sachant très bien jouer de son charme pour arriver à ses fins, mais féministe enragée et passionnée de tauromachie. Dans leurs derniers échanges, Mirande et Constance s’écharpaient sur la place de la femme dans la tauromachie !...

La presse s’était fait l’écho de cet étrange enlèvement. Certains pensaient même à une affaire Ben Barka taurine…  « C’est ça ! Et bientôt on va ressusciter Focard et le SAC » pestait Fosca devant tant de fantasmes.

L’aficion française se mobilisa, un vague mouvement #jesuismirande apparut sur les réseaux sociaux, bref la disparition de Mirande commençait à agiter les foules ce qui n’était pas pour arranger Fosca. Le parquet lui mettait la pression. Il fallait se dépêcher.

 

Fosca sentit le piège se refermer sur lui. Et il se retrouva sur le quai de la gare de Lyon, à attendre un train pour Arles. Il devait aller prendre le pouls de l’aficion française, rencontrer des acteurs du mundillo qui pourraient le rencarder sur d’autres pistes. Et quoi de mieux qu’une feria ?

Pour Fosca, se rendre en terres taurines s’apparentait à un chemin de croix. Ses crises d’angoisses avaient recommencées dans le métro. Une fois à la gare, il repéra une jeune et jolie blonde sur le quai, écouteurs sur les oreilles. Elle se dandinait doucement. Il reconnut enfin Constance.

Il s’approcha, et attendit qu’elle remarque sa présence. Elle retira ses écouteurs et le regarda sans étonnement.

- Vous écoutiez quoi ? demanda Fosca pour dire quelque chose

- Because the night… répondit Constance

- Because the night belongs to lovers chantonna Fosca en tentant son roulement d’yeux des plus séducteurs.

- Because the night belongs to lust… soupira Constance dans un éclat de rire ! Vous faites quoi là ? enchaîna-t-elle ? Vous me suivez ou vous allez à Arles ?

- Les deux mon Général… répondit Fosca

- Vous avez des nouvelles de Lucien ? C’est ça ?

- On va continuer d’écouter Patti Smith, et on se reparle après répondit Fosca en essayant de faire le mystérieux.

 

 

Mirande était vautré sur le sol. Encore perturbé par le claquement de fouet de la veille, il se demandait s’il n’était pas en proie à un délire paranoïaque…

Il remarqua un pack entier d’eau minérale et des boites de biscottes posés dans un coin de la pièce.

Il lui était impossible de calculer depuis combien de temps maintenant il était enfermé.

Ses plaies se résorbaient lentement, laissant apparaître des croutes noirâtres, sa barbe poussait, sa chemise tachée de sang ne ressemblait plus à rien. Il devenait l’ombre de lui même.

Tout à coup il entendit des pas. Des lumières violentes s’allumèrent dans sa direction et il fut obliger de fermer les yeux. Une voix s’éleva. Une voix étrangère.

- Mirande la belle vie a assez durée. Tu vas rester seul ici quatre jours. Tu vas réfléchir un peu à ta condition d’homme… Tu vas tenter de comprendre pourquoi tu es enfermé ici et pourquoi, sans repentances, tu n’es pas prêt d’en sortir.

Mirande tenta de se lever, tituba, retomba sur le sol et se mit à crier :

- Mais qui êtes-vous ? Expliquez moi pourquoi je suis là ! De quoi dois-je me repentir ? Parlez moi, bordel !...