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Séville 27 avril 2017 payer

A l'entrée de la porte 4, le placier est un peu embarrassé : "Vas-y, passe, j'ai oublié la machine !..."
La pince métallique qui lui permet chaque jour de percer difficultueusement un trou dans la carte de plastique qui donne accès à la tribune de presse. Un trou par jour. Pince à l'ancienne, comme celles que je voyais, enfant, dans les mains des turfistes au café du coin à Toulouse.
"Vas-y, passe, je suis désolé..."
Ainsi donc, tout fout le camp, ou presque. Même les placiers les plus scrupuleux du monde oublient leur pince ! On le sait, cette année, le lundi du poisson frit, qui donne traditionnellement depuis des décennies le signal du début de la Féria, et où l'immense porte d'entrée du campo férial s'illumine à minuit tapante, le lundi du poisson frit aura donc lieu... samedi soir. C'est ainsi : les commerçants et les fêtards avaient besoin d'un week-end supplémentaire. Que pèsent les traditions, même ici, dans cette ville où rien ne change jamais, contre le tiroir caisse ?...
Sur le coup de six heures, le jour a lentement glissé en noir et blanc. Une pluie fine - Locmariaquer fin août - a tout embrumé, jusqu'au goût de Morante qui s'est choisi, du coup, un costume orange fané, comme une vieille bouteille de butane qui aurait passé quelques hivers dehors, livrée aux intempéries, juste derrière le hangar à vidanges. Son premier toro ne l'a pas supporté, qui lui offrit deux ou trois petits bouts de passe dont on ne pouvait rien faire.
Au second, faible et distrait, lourd comme un second tour de présidentielles (632 kg !), une conversation de quites entre Juli et Talavante prit un tour important. Envols de soies, envois de soi. Peser d'une main presque distraite, une seule sous la large cape.
Magnifique faena du Juli, toute en précision savante. Épée faillie à force de précaution. Tout se paye. Encore.

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Il coupa, après une prestation savante, l'oreille d'un cinquième toro complexe, qui semblait avoir en lui plusieurs registres, et de la difficulté à en choisir un. Juli torée vraiment bien. Dommage que ce soit trop souvent devant des toros à la sauvagerie relative.
"Bien que ce soit son métier, je ne lui conseillerais pas de continuer sur ce côté..." Talavante est en train d'essayer de toréer de la main gauche, et le toro lui envoie des avertissements de plus en plus clairs. La voix tombe, sentencieuse, de derrière, dans le silence bruissant de l'arène. Il faudrait placer deux ou trois écrivains publics par gradin pour recueillir les pensées crues et vives des sentencieux de tendidos. C'est bien souvent le meilleur d'une corrida.
Le quatrième toro de Garcigrande pesait 637 kilos. Rien ne justifie, de cet élevage et à cette période de l'année, un tel poids. On n'imagine pas que l'éleveur ait organisé dans ses prés un concours du plus gros mangeur de saucisses, mais la corrida qu'il a envoyé aujourd'hui à Séville, avec trois toros qui dépassaient les 620 kilos, n'était pas dans les canons de la maison. Ajoutez à ce quatrième deux dagues effilées à la place des cornes, et vous pourrez imaginer sans peine l'excès de prudence qui régna sur le ruedo pendant tout le combat. Sifflets. Tout se paye.
La douce mélancolie des soirs pluvieux du printemps sévillan se double aussi d'un autre sentiment, diffus : on voit bien que, au delà de l'excitation qui monte devant cette Féria qui s'annonce, la société andalouse souffre. Ce matin, pendant le temps du café et de la média tostada, le défilé des vendeurs de billets de loterie avait quelque chose d'artificiel. Les vendeurs, gauches, embarrassés, avaient une tête et une timidité de nouveaux venus dans le métier. Une tête à avoir été, il y a encore quelques mois, derrière le comptoir d'un magasin, d'un bureau. Quelque chose grince, ici aussi. Whirlpool géant sur Guadalquivir...
A la radio, une publicité met en scène une femme, qui annonce à son amie que, cette année, elle n'ira pas à la Féria : "Je ne supporte plus la Manzanilla, ça me provoque trop d'aigreurs, et puis cette année, je suis fatiguée !..." une voix intervient alors "Inutile d'inventer des prétextes !... Vous avez des problèmes d'argent ? Nous vous prêtons ce qui vous manque, de quoi passer une belle Féria !..." Une pub pour un crédit à la consommation spécial Féria !... Décidément, tout se paye...

Six toros de Garcigrande Domingo Hernández, bien présentés et de jeu tout à fait inégal pour :
Morante de la Puebla, abricot blette et azabache, silence et sifflets
Julian Lopez El Juli, bleu roi et or, applaudissements et oreille
Alejandro Talavante, chocolat noir 90% et or, silence et silence