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Les pieds de plomb du Ramadan

 

Avant le début du Ramadan, on a tenu à célébrer, au Septimo, la fine table de la rue Pastor y Landero, le tournedos de pieds de porc qui est ici à se damner. Cet établissement, qui propose une carte de vins très originale, est une des meilleures adresses du quartier des arènes : le cuisinier excelle à maîtriser toutes les cuissons, ce qui fait toujours la différence. On trouve bien sûr à Séville beaucoup de bars et de restaurants qui proposent des poissons. Mais bien peu savent les cuire comme Neptune l'exige. C'est autour de cette table que l'on apprit samedi soir l'arrivée dans le foyer de Jacques et Dolores à Lagrasse, d'un petit fils. Une ville fait partie de votre vie quand vous y apprenez des choses qui la marquent. On a ensuite, fort tard dans cette première nuit de feria, traversé à pieds, jusqu'à la Macarena, une ville très joyeuse qui semblait fêter l'événement.

Félicitons une fois de plus cette tradition qu'on s'est inventée depuis des années, de passer le dimanche - jour de corrida équestre - à la mer loin de Séville. A Sanlucar de Barrameda, le marché aux poissons est fermé, mais pas, juste derrière, la Cigarrera, cette cave où l'on déguste, dans le patio ombragé par des charmilles, la Manzanilla tirée du fût. Puis on prend le second apéritif dans les jardins du Palais de la Duchesse rouge, celle de Medina Sidonia, au milieu des citronniers, des palmiers et des lavandes. On descend ensuite jusqu'à Bajo de Guia, à l'embouchure du Guadalquivir, goûter les croquettes de carabineros, les tortillitas de camarones et les zamburiñas, ces petites coquilles St Jacques planchées à l'ail. Les bateaux passent dans un courant vif de mascaret et on devine, sur l'autre rive, les premiers arbres du parc naturel de Doñana, où les lynx prolifèrent. Vers la fin de l'après-midi, on ira prendre les glaces - comme on disait prendre les eaux - à Chipiona, où l'océan fait briller, au loin, ses promesses d'Argentine.

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Les jardins du Palais ducal de Medina Sidonia à Sanlucar de Barameda

On attendait Diego Urdiales. A la cape, devant un toro en métacrylate, transparent et cassable, il dessina des véroniques de Nouveau Testament. Sans affectation, sans composer la figure pour les photographes. Avec une classe verticale. Mais le toro trimbalait une peine essoufflée qui empêcha Urdiales, qui dessina pourtant une faena juste, douce et précise, de s'envoler vers les sommets.
A son second, on vérifia que les proverbes sont souvent des braves morceaux de connerie : il y a aussi de mauvais cinquièmes, et de bons ouvriers qui touchent des outils rouillés. Pieds de plomb.
Quant à Manzanares, il aura toréé, à la Maestranza, six toros depuis le dimanche de Pâques. Et coupé une seule petite oreille. Discrète. Vu la condition des animaux, c'est difficile de lui en vouloir. Lorsque le sixième prit une longue pique disputée, l'on se prit à espérer qu'il dura. Il dura. Mais on resta très loin des sommets.

Septième corrida de la feria de Séville (huitième de l'abonnement)
Plein.
29 degrés
Sept toros de Juan Pedro Domecq (changé le quatrième) pour :
Morante de la Puebla : hier dimanche, Francisco Serrano, le Président du parti d'extrême-droite Vox dans lequel le torero Morante de la Puebla milite désormais, a annoncé qu'il demanderait "une plus grande rigueur" dans les dossiers de violences faites aux femmes. Pour lui, dans la plupart des cas, les femmes mentent et les hommes en pâtissent. Vox vient d'obtenir de ses alliés du Partido Popular du gouvernement andalou la liste de tous les travailleurs sociaux de la Province qui travaillent à aider les femmes victimes de violence. Les associations sont inquiètes. Elles pensent que ce n'est pas pour les augmenter. 47 femmes ont été assassinées l'an dernier en Espagne par leur compagnon ou ex-compagnon. Le chiffre est en diminution. Et si l'on compte bien, deux fois moindre qu'en France. Le fait que la presse espagnole ne laisse pas passer un seul cas sans le mettre en avant y est certainement pour beaucoup. C'est bien. Mais pas assez pour regarder toréer un type que ça ne gêne pas le moins du monde.
Diego Urdiales : gris vert romarin de Villemagne et or ; vuelta et silence.
José Mariá Manzanares : bleu nuit d'août à Ronda et or, passements blancs ; silence et saluts.

Sinon : Tout au bout de la rue Alphonso XII, derrière le Musée des Beaux Arts, on fait une pause sur une des terrasses ombragées de la petite place Puerta Real, installées en léger surplomb de la rue. On observe les façades, toutes différentes et pour certaines pleines de détails (la façade la plus simple, celle du numéro 8, une maison presque austère si ce n'était cet élégant petit couvert au rez-de-chaussée, et surtout les ornements en spirale peints en rouge, de chaque côté des balcons).

Puis on prend place à La Chalá (ce qui signifie "la folle" en andalou : "celle là, elle est un peu chalá" entend-on parfois). Une fois rincée la première bière, on commandera les croquettes à l'ail. Oui, à l'ail. Des croquettes farcies d'une crème à l'ail douce et goûteuse, dont on aurait tort de se méfier. C'est délicieux et très original. On préconise aussi les magnifiques albondigas de choco, des boulettes de calamars passées en friture. Tout ça fait un moment parfait. Quand j'étais petit et en vacances chez ma grand-mère, à Thézan-les-Béziers, le garde champêtre annonçait par les hauts-parleurs du village l'arrivée des commerçants ambulants, en énumérant les promotions du jour. Poissonnier, boulanger, boucher, vendeur de chaussures ou quincailler, toutes les annonces se terminaient toujours par la même expression : "Une visite s'impose"...

Jean-Michel Mariou