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Là-haut si j'y suis

 

C'est l'éternelle question du grain de sable. Ce matin, le serveur de "Mi Gitana", le bar où je prends mon petit déjeuner, vient m'annoncer, comme un deuil tragique, qu'il n'y a plus de jambon. "Tu comprends, avec la feria, tout ça..."
On ne voit pas le rapport. Mais on accepte de goûter la tostada avec une carne mechada à la place, "mais attention, elle est de la maison, elle n'est pas..."  Évidemment, depuis qu'on sait qu'on peut attraper la rougeole en mangeant du jambon de Bayonne, on se méfie de tout ! (#ForzaMila !)
Mais que faire, sinon constater que décidément, c'est bien compliqué de vivre ?
Rue Don Pedro Niño, entre Campana et calle feria, il y a justement le plus vieux cactus du monde. On l'a toujours vu là, étalant paresseusement ses longs bras carrés par dessus le portail. Il fut une époque où il débordait jusqu'au milieu de la rue, et où il faisait une ombre aimable à quelques chats sympathiques. La vieille dame qui vivait là laissait toujours sa porte entrouverte, et une chaîne sur le portail. La dame n'est plus là, les chats non plus. La porte est fermée. Quant au cactus, il est désormais rabattu à l'excès, et achève de sécher de l'intérieur. De mourir, quoi...

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Sur la première page du journal, Pablo Aguado sort en triomphe des arènes, hier au soir tombant. Sur le sable de la Maestranza, les images de sa silhouette, penchée sur ses toros de Jandilla, resteront longtemps en nous. La corrida d'hier est de celle qui transforme une feria. Et une soirée. Sur la photo, on le voit sur les épaules de ses admirateurs, courbé en fragile équilibre, le regard vers le ciel. Que regarde-t-il à ce moment-là ? On se souvient de cet interview de José Tomas après sa première sortie en triomphe des arènes de Madrid. Il racontait qu'enfant, les soirs de corrida à Las Ventas, il échappait à son grand-père et se précipitait toujours au balcon, sur la grande porte, pour voir ainsi sortir les vainqueurs du jour. Les images de son premier triomphe le montraient, juché sur les épaules des porteurs, qui se retournait vers le balcon. "J'ai regardé pour voir si j'y étais" disait-il en souriant...

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C'est sur le coup de 17h28 que tout vous est revenu. D'un seul coup. Quand vous êtes partis, après avoir pris congé trop brusquement des amis - "Comment ça, tu vas aux toros ?" - que vous avez retraversé à grandes enjambées le campo de feria vers la porte d'entrée monumentale - qui était aussi pour vous à cette heure celle de la sortie. Vous marchiez le plus rapidement possible vers l'arrêt de bus du numéro 41, le seul capable de vous laisser aux pieds de la Paza de toros. Vous vous êtes souvenu brusquement que bien sûr c'était le dernier arrêt, le plus loin, juste avant le pont, en face du ridicule paquebot à plusieurs étages pour touristes fortunés, devant le stand "Hermanos Pernía, su churreria de toda la vida". Mais vous vous êtes surtout souvenu des raisons pour lesquelles, chaque année depuis tant d'années, vous vous dites que vous n'irez plus à la feria. Non pas à cause de la chaleur - 38 degrés sous les toiles hier vers quinze heures - du bruit terrifiant, du manège lancinant des charrettes, tilbury, calèches, fiacres, cabriolets, ou du camion de nettoyage qui vous asperge de crésyl en plein soleil. Non, vous ne vouliez pas revenir parce que les poissons frits, les tomates à l'ail, les gambas de Huelva, les croquettes de bacalao, les oeufs frits au jambon, les amandes frites, le potage de garbanzos, auxquels Momo et Sandrine ajoutent désormais, pour faire découvrir aux amis sévillans la culture de Chalosse, quelques plats de graisserons de canard, de foie gras d'oie (oca) et de canard (pato)... Tout ça, forcément, c'est un peu trop avant d'aller aux toros !... Et bien sûr, mon père, si l'on veut être tout à fait honnête, on est bien obligé d'ajouter la dizaine de bières tirées du tonneau, la cruche de rebujito et les quelques demi-bouteilles de Manzanilla dans le seau plein de glace (demies, les bouteilles, mon père, demies !).
Voilà pourquoi l'an dernier, vous vous étiez fait ce serment.
Les raisons pour lesquelles vous êtes revenu quand même restent à ce jour parfaitement mystérieuses. En tout cas, l'an prochain...

Au premier toro de Ferrera, je dois reconnaitre que j'ai fait un petit somme. Au second, j'aurais dû.

Le Fandi, lui, pose les banderilles comme toujours, comme jamais. Il court et saute, impérial. À 38 ans, franchement, j'aimerai bien être comme lui. L'entame de sa seconde faena, à genoux, par des circulaires interminables, n'était pas seulement spectaculaire. Il s'agit, là, de toréer, en ne se donnant aucun recours. Il le fit à merveille. Et sû continuer à profiter du meilleur toro de l'après-midi. Rien à dire, sinon qu'on peut aussi aimer le Fandi quand il est ainsi.

Soyons francs : on se demandait si Alberto López Simón avait encore quelque chose de grand à dire devant les toros. S'il n'avait pas joué son rôle de cavalier fou qui bouscule les intérêts d'une ou deux saisons, pour repartir dans l'ombre, comme des milliers d'autres avant lui. On pourra considérer qu'il n'a pas totalement convaincu devant un troisième encasté dont il ne parvint jamais à ralentir la charge. Au sixième, un autre très bon toro, il ne comprit hélas que par intermittence le rythme particulier de l'animal.

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David Fandila El Fandi

Douzième corrida de la feria de Séville (treizième de l'abonnement)
Arène aux trois quarts pleine.
35 degrés
Six toros de Fuente Ymbro pour :
Antonio Ferrera, bleu noir et or ; saluts et silence.
David Fandila El Fandi : Toblerone et or ; saluts et oreille
López Simón : bleu nuit et or ; vuelta et saluts

Sinon : on continue de chercher, jusqu'aux limites du centre antique de la ville, dessiné par les boulevards les plus laids qui soient, les bonnes adresses de Séville. On découvre cette année ce nouveau quartier de Capucinos, un quartier très populaire, plein de surprises. Ainsi le Yebra, au coin de la rue Medalla Milagrosa et de l'avenue de la Croix Rouge, qui propose des poissons au four à tomber. On a vu passer, vers la table voisine et ses deux convives (noblesse du journalisme d'investigation !), une sole (lengoao) d'un kilo huit ! On aurait dit une étude préparatoire pour une peinture de bodegón de Miquel Barcelo... La merluza à la crème d'ail est aussi une réussite. Mais pour ceux qui en ont un peu marre du poisson (après tout, trois semaines en Andalousie...) on recommande les petits rognons d'agneau, délicieusement servis sur un lit de pomme de terre. En entrée, on partagera les "pétales de fèves fraîches à l'ail frit et au jambon". La tendresse des petites fèves pelées, de l'ail, qui semble cuit à l'étouffée avant que d'être frit...
Le Yebra est une table courue. Il est prudent de réserver (954 351 007)

sinon encore : demain soir dimanche, après la corrida de Miura, nous signerons "Le chauffeur de Juan" (nous : Juan Leal et votre serviteur) au bar Le Septimo, derrière les arènes, rue Pastor y Landero, à 21h30.