merimee

Le bonjour de Staline

Nous vivons des temps troublés. La tauromachie apparaît comme une barbarie insupportable à de plus en plus de gens. On peut comprendre ça : en finir avec elle paraît beaucoup plus simple qu’en finir avec l’injustice et la violence faite aux plus faibles. Les pauvres, les femmes, les enfants. Alors concentrons nous sur la corrida et ses partisans. Et ne laissons rien passer ! Plus de subventions pour les écoles taurines, plus d’expositions de photos taurines à la banque du coin de la rue (franchement, les banquiers, ils se seront bien foutus de nous, et sans rien nous laisser !...), plus la moindre représentation d’un toro ou d’un torero sur une étiquette de chorizo ou sur une affiche de fête champêtre… Allons-y ! Comme si l'avenir du monde en dépendait.

A Nîmes, les militants de l’Alliance Anti Corrida sont donc parvenus à faire retoucher une fresque dans l’école primaire Prosper Mérimée. Elle représentait les arènes de Nîmes avec un torero et un toro, et avait été réalisée il y a près de dix ans par des élèves, à l’occasion d’un projet pédagogique. Les anti-corrida ont protesté auprès de la Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale du Gard, et obtenu que l’on efface l’odieuse présence d’un petit toro et de son bourreau malingre. Ce n’est en soi pas très étonnant. Après tout, c’est leur job, le sens de leur engagement. Ce qui l’est plus, c’est qu’il se soit trouvé un lâche ou un complice dans les services de l’Etat pour leur donner raison.

FresqueAvant

 FresqueAprès

Deux parents d’élèves de cette école nous ont envoyé ce courrier qui résume parfaitement l’histoire et ses conséquences. Le voici, car on ne saurait mieux dire :

« La Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale du Gard a demandé au chef d’établissement de cette école de faire disparaître "en toute discrétion" toro et torero de cette fresque. Les protestations des enseignants, dont certains ont participé, à l’époque, à la réalisation de ces peintures avec leurs élèves de CP, n’y ont rien fait. Il s’agit selon la Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale du Gard de ne pas alimenter la polémique et de se faire discret. C’est un peu comme si l’état français avait censuré Charlie Hebdo au moment de la publication des caricatures du prophète afin de ne pas faire vagues. Le toro et le torero ont donc disparu de cette fresque. Il est significatif d’observer, à quel point ce "maquillage" a soulevé l’indignation de la majorité des parents d’élèves de cette école, toutes tendances confondues (aficionados, indifférents et opposants à la corrida). Une telle majorité ne peut être recueillie que sur la base d’une idée dépassant le clivage pro et anti taurins. De même, les manifestations qui se sont déroulées en France le 11 janvier 2015 ont été massives et ont largement dépassé le cadre des sympathisants de Charlie Hebdo. Ce « maquillage » soulève une indignation unanime car il représente en fait une atteinte à la culture en général. De plus, nier l’existence de la culture taurine dans les régions de tradition ininterrompue, c’est nier un fait historique. En cela, c’est assimilable à du négationnisme (terme inventé pour qualifier la négation de la Shoa, et qui par extension est utilisé dans les situations de dénis manifestes de faits historiques avérés et indiscutables). Dépassant encore le clivage pro et anti corrida, il y a aussi lieu de s’inquiéter sur la capacité d’intrusion de certains mouvements au sein de l’école de la République. Aujourd’hui, il s’agit de la modification d’une fresque au nom d’une uniformisation des pratiques. Demain, il s’agira de modifier le contenu de programmes scolaires pour des motifs politiques et/ou religieux. Cet acte de vandalisme commis sous la pression d’une minorité visiblement influente, ne peut rester sans réponse. Aficionado ou pas, n’importe quel citoyen du monde ne peut demeurer passif dès lors qu’il s’agit d’étouffer une expression culturelle quelle qu’elle soit. Aujourd’hui, c’est une fresque dans une école. Demain, ce sera les dessins de Picasso et plus tard les peintures rupestres de Lascaux.

Nous vous invitons par conséquent à faire savoir votre indignation auprès des services responsables, par courrier postal, e-mail ou téléphone :

Directeur Académique des Services de l’Education Nationale,
Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale du Gard, 58 Rue Rouget de Lisle, 30030 Nîmes
Tél : 04 66 62 86 00 ce.ia30@ac-montpellier.fr »

Judith et Gilles ROUSSEL, aficionados, et leurs enfants qui, à leur grand regret ne le sont pas, preuve s’il en est de l’inefficience de leur prosélytisme supposé.

 

Rien à ajouter. Sauf peut-être ces deux photos, qui nous viennent à l’esprit, on ne sait trop pourquoi : le bon Staline et son sympathique collègue Molotov, accompagnés de Nikolaï Lejov, chef du NKVD de 1936 à 1938. C’est à dire responsable des plus grandes saloperies de l’époque. Il est sur la photo, et puis plus du tout… Entre temps, il a été fusillé sur ordre de Staline. Un jour on a la cote, un autre pas. Les grandes purges des années 30 en URSS, au cours desquelles furent arrêtés, déportés et exécutés des centaines de milliers d’opposants ou de simples citoyens suspects (lire à ce sujet le très beau roman d’Olivier Rolin, Le Météorologue, Seuil, 2015), se terminaient toujours, pour les personnages publics, par des « retouches » d’images.

Gommer, nier, cacher ce qui dérange. La Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale du Gard assume ainsi une bien dégueulasse « tradition »…

 

Nikolaï_Lejov

 NikolaÏ_Lejov_disparu