Morante_Dali

Le cimetière des imbéciles

Les exemples se multiplient de mauvais coups portés à la liberté des aficionados. En Catalogne espagnole, où le ridicule semble s’emparer des esprits les plus raisonnables, on atteint désormais quelques limites : la mairie de Barcelone a ainsi interdit, cette semaine, une publicité pour la féria de Saragosse. Une pub au second degré, un grand portrait de Morante de la Puebla grimé en Salvador Dali, signé par le photographe José Ramon Lozano, et que l’agence de publicité avait prévu d’accrocher sur la façade d’un immeuble du paseo de Colón. Mais même ça, ça ne passe pas : rien qui puisse rappeler la tauromachie, et surtout pas si c’est fin et drôle…

La Mairie, qui rappelle qu’elle a adopté en 2004 une résolution dans laquelle elle se détermine « contre les corridas de toros et pour les droits des animaux », renonce ainsi aux 12 000 euros de budget de cette campagne publicitaire.

Dans ce texte de 2004, le Conseil Municipal rappelle que le toro « n’est pas un animal agressif », mais « un mammifère qui fuit simplement devant l’agression et la torture ». Bon. Les amis des animaux sont toujours aussi désespérants.

Talavante_Pilar

Un ami m’envoie justement ce matin un texte de Léon Bloy, extrait de « Le sang du pauvre », au chapitre « Les deux cimetières »…

« Le premier (cimetière) vaut à peine qu’on on parle. C’est celui des pauvres, la fosse commune, le charroi des macchabées, la bousculade, les blasphèmes et les ordures des croque-morts immondes qui n’espèrent aucun pourboire. Quand les morts affluent, c’est le déblaiement rapide et profanant des enterrés provisoires dont les ossements n’ont plus droit à un semblant de sépulture et vont être jetés en tas, comme des décombres ou des immondices, dans un trou quelconque.

(…) Ce qui navre de charité, c’est la foule des petites tombes. Il faut ce spectacle pour savoir ce qu’on tue d’enfants dans les abattoirs de la misère. On y voit des lignes presque entières de ces couchettes blanches surmontées d’absurdes couronnes en perles de verre et de médaillons de bazar où s’affirment des sentimentalités exécrables. Il y en a pourtant de naïves. De loin en loin, dans une sorte de niche fixée à la croix sont exposés, avec la photographie du petit mort, les humbles jouets qui l’amusèrent quelques jours. Quelquefois s’agenouille devant l’une d’elles une vieille femme désolée. Elle est si vieille qu’elle ne peut même plus pleurer. Mais sa plainte est si douloureuse que les étrangers pleurent pour elle…

(…) Après le cimetière des pauvres, c’est une sensation plus que bizarre de visiter le Cimetière des Chiens. Beaucoup de personnes ignorent probablement qu’il existe. Il va sans dire que c’est le cimetière des chiens riches, les chiens pauvres n’y ayant aucun droit.

(…) On est forcé de se demander si la sottise décidément n’est pas plus haïssable que la méchanceté même. Je ne pense pas que le mépris des pauvres ait jamais pu être plus nettement, plus insolemment déclaré. Est-ce l’effet d’une idolâtrie démoniaque ou d’une imbécillité transcendante ? Il y a là des monuments qui ont coûté la subsistance de vingt familles ! J’ai vu, en hiver, sur quelques unes de ces tombes d’animaux, des gerbes de fleur dont le prix aurait rassasié cinquante pauvres tout un jour ! Et ces regrets éternels, ces attendrissements lyriques des salauds et des salaudes qui ne donneraient pas un centime à un de leurs frères mourant de faim ! "Plus je vois les hommes, plus j’aime mon chien", dit le monument à Jappy, misérable cabot bâtard dont l’ignoble effigie de marbre crie vengeance au ciel. »

 

On ne saura jamais combien la mairie d’extrême gauche de Barcelone aurait pu distribuer de repas aux pauvres de la ville, avec les 12 000 euros de droits pour pendre cette affiche en centre ville…