Tintin_Séville

"Loup, y es-tu ?" par Nadège Vidal

Nicolas Bouvier, le bien nommé, écrit dans « Chronique japonaise » qu’à Shiraoï, au pays des Aïnous : « le barman, en veste blanche – camionneur dans la journée – qui allumait les cigarettes à la ronde avec un Dunhill en or massif me confia qu’il employait ses loisirs à traduire Hemingway en japonais. »

A-t-il traduit les romans taurins du vieil homme ?

Papa, Michener, Théophile Gauthier, Michel Leiris (repenti sur le tard), Montherland, Peyré, Bataille etc. sont parfois considérés par les aficionados comme des références au sens où ils permettent de justifier ce que de connivence la tauromachie entretient avec l’écriture.

Trouver, en revanche, chez des écrivains qui ne font pas leur beurre ou leur tasse de thé des taureaux est moins aisé. Pourtant, cela permet de mesurer l’influence de la tauromachie, consciente ou non, et par la même son importance.

Au hasard de mes lectures, quand j’en ai pris note, ce qui est loin d’être systématique, j’ai relevé :

Voltaire (Histoire des voyages de Scarmendo) : « Cependant j’imaginais que nous allions voir quelque carrousel ou quelque fête de taureaux, lorsque que le Grand Inquisiteur parut…  »

Julien Gracq ( Lettrines) : « La terre battue partout – A Aranjuez, à Tolède – autour de vieilles murailles de brique des arènes, couleur de sang séché, percées de rares ouvertures, avec sur elles je ne sais quoi de ruineux, de malfamé, de sordide et de sinistre, comme les abords d’une tour de silence. On comprend que les toreros, même en pleine insouciance du risque, n’approchent point des lisières du malaise sans se signer, et plutôt deux fois qu’une. »

Jim Harrison (Une odyssée américaine) : « Une affiche qui annonçait un festival de Reed Point appelé la course de moutons comme imitation évidente de course de taureaux de Pampelune. »

Burroughs/Kerouac/Pelieu (Edition de l’Herne 1971) Burroughs : « Kerouac était un écrivain. C’est à dire qu’il écrivait. De tous ceux qui se prétendent écrivains et qui ont leurs noms imprimés, il y a très peu d’écrivains et ils n’écrivent pas, et ceci réside dans ce fait, un toreador se bat avec un taureau, un matador à la con fait des véroniques sans taureau. L’écrivain est passé par là. Il ne peut en être autrement. »

Modiano (Vestiaire de l’enfance) : «  Un mince volume… l’exemplaire était dédicacé d’une encre noire et d’une écriture gothique à un certain Pedrito, matador de toros. »

Burgess (Une rencontre à Valladolid ) : « Ce n’est pas un massacre mais un combat honnête entre le taureau et l’homme ».

Enfin, chez Pierre Michon, (Vie du Père Foucault) : « Je continuai à boire et ce qui me restait d’esprit devait à peine suffire à planter quelques banderilles. »

La conclusion, je la laisse à Philip K. Dick (Souvenir). La nouvelle de SF évoque comment la planète Terra est mise au pas par le Relais, entité de propagande, gardien de la culture galactique : « Toute culture doit se conformer à la tendance générale. Le Relais rend possible l’uniformité de développement. Il intègre les facteurs corrects et rejette le reste. »

Nous y sommes ?

 

Nadège Vidal