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Un avril à Séville (10)

 

Dimanche 10 avril : un dimanche sans toro

C'est arrivé hier samedi vers 19 heures. Sur le campo de Feria, tout le monde s'affairait pour les dernières installations. Soudain, de la cassette située au numéro 98 de la rue Gitanillo de Triana (le campo de Feria est organisé autour de 14 rues, qui portent toutes des noms de toreros sevillans), une épaisse fumée a commencé à s'élever. C'est un court circuit, manifestement provoqué par un réfrigérateur, qui a déclenché l'incendie. Beaucoup de fumée, et des dégâts matériels notables, les flammes s'étant attaquées à la cassette voisine. Mais les pompiers ont douché tout ça, et il ne restait plus ce matin qu'à tout réinstaller. On est sûr aussi d'une chose : ça fera une beau sujet de conversation pour les socios et pour ceux des cassettes environnantes...
Autrement, la ville était ce matin livrée aux calèches pour le traditionnel concours, la trente et unième Exhibición de Enganches. L'occasion d'admirer les attelages les plus soignés, les plus originaux, à travers le quartier de l'Arenal. En fait, une occasion supplémentaire pour les sévillans de s'admirer eux mêmes.
On a vu défiler soixante douze attelages, presque tous originaux (seulement quatre étaient des copies), dont les calèches, diligences, briskas, fiacres, buggy, cabs, phaëtons, berlingots, coupés, pataches, breaks, landaus ou tilbury, dataient tous d'avant 1950.
On apprit là le nombre invraisemblable de manières d'atteler les chevaux : encore laissera-t-on de côtés les aimables mules. Les Limoneras n'ont qu'un cheval, mais il y a une différence entre les troncos qui vont avec deux chevaux au coude-à-coude, et les tandems, dont les deux chevaux sont attelés l'un derrière l'autre. A medio potencia, on attellera trois chevaux devant, et deux derrière. Quant au "de cinco a N", il présente deux chevaux devant, deux derrière, et un cinquième encore derrière.
Les prix - c'est un concours ! - sont attribués d'abord pour l'aspect de l'équipage (la présentation des chevaux, l'état de la calèche, mais aussi les vêtements portés par les passagers, et surtout les détails de décoration ; on a vu cette année beaucoup de paniers, de cannes pendus dans des étuis d'osier...). Mais le jury juge aussi, lors du passage dans la Maestranza, sur le sable des arènes où les participants manœuvrent dans un grand ballet de grelots et de mantilles, de l'habileté du conducteur à mener ses chevaux.
Arrivé à ce point de complexité, sur le coup de 12h15, on s'est rendu compte qu'au fond, on s'en foutait un peu. Et l'on s'apprêtait à tourner les talons pour aller boire un verre lorsque le ciel, gris boudeur depuis le matin, s'ouvrit brusquement pour laisser choir sur les mantilles, les grelots, les capotes vernies et les chapeaux hauts de forme des cochers, un tragique chaparon qui refroidit tout le monde!
On eut une pensée émue pour tous ceux qui avaient déballé aux Puces de la Cartuja, et on s'abrita dans un des bistrots d'Adriano qui, c'est bien connu, sont fait pour ça...

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C'est là que se posa l'inévitable question existentielle du jour : lorsqu'il y a à l'affiche dans la soirée une corrida à cheval, peut-on vraiment considérer que c'est un jour sans toro ? Oui, répondit la calèche, puisqu'on n'y va pas !
T'es sûr qu'on y va pas ? Il y a quand même Léa Vicens au cartel !
Bon, on y va. Mais comment se fait-il qu'il n'y ait pas cette douce excitation, cette impatience magnifique qui rend chaque minute plus lente, chaque idée distraite, chaque conversation dilettante, lorsque nous attendent dans la soirée six toros en pointe, et trois piétons concentrés ?
On y est allé. On a vu Léa. Et les autres.
Diego Ventura a coupé les deux oreilles de son premier sans vraiment m'émouvoir. C'est un cavalier exceptionnel, et il comprend les toros comme personne, mais je m'interroge sur cette posture hystérique à la sortie des poses de banderilles, fonçant à cheval vers la barrière en hurlant comme un possédé, comme s'il allait sauter à cheval dans la foule. Pour finir, il arrache la banderille suivante des mains de son ayuda comme si il lui en voulait personnellement. La tauromachie à cheval de Diego Ventura, contrairement à la notre, n'entretient pas l'ambiguïté de la douceur et de la caresse. Je le regrette, mais ça me laisse un peu en dehors du coup...
Quant à Léa, elle est plus fine, plus solaire. Elle a une manière de monter ses chevaux sans violence (sur Bético, elle réalisa une prestation parfaite aux banderilles) et sans esbroufe particulière. Son charme et sa lumière donnent aussi envie de lui laisser le temps de progresser sur les terrains qui le demandent encore, comme le rejon de mort par exemple...

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Léa Vicens attend la sortie de son premier toro...

 

Miscellanées gourmandes à Séville (11)

Le dimanche à Séville, et tout particulièrement en cette veille de Feria (l'illumination de la grande porte d'entrée du campo férial aura lieu demain soir lundi à minuit pile), beaucoup de bars et de restaurants n'ouvrent pas leurs portes, ou bien les ferment à 14 heures, juste avant le service de la mi-journée. Les autres sont bondés.
Alors aujourd'hui, on mange avec les doigts...
A la Puerta de la carne, en bas de la rue Santa Maria la Blanca, on trouve, depuis 1929, une freiduria, un établissement qui frit le poisson sur le moment, et qui le vend au poids, dans de grands cornets en carton. On trouve là, frais et délicieux, tout ce que la mer andalouse offre aux pêcheurs : des calamars, des gambas, puntillitas, chipirones, huevas... Les allergiques au poisson pourront se rabattre sur des croquettes, ou du poulet frit, mais on a comprit que ce serait dommage... On peut aussi, pour rafraîchir, commander de délicieuses tomates en salade (avec une pointe d'origan) ou un verre de gaspacho. On ressort, on s'installe à une table sur la terrasse, et le serveur du restaurant voisin vient vous prendre la commande des boissons. Il est pas beau le dimanche ?
Freiduria de la Puerta de la Carne, ouverte de 13h à 17h, et de 19h à minuit.

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