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Un avril à Séville (11)

 

Lundi 11 avril : nuit debout !

La grosse gitane entre dans le bar, précédée de deux seins tout à fait spectaculaires, et d'un sourire plus large encore que son visage. Elle tient à la main un de ces brins de romarin qu'elle essayera tout le jour d'échanger contre quelques pièces auprès de touristes en quête du petit exotisme sévillan. Elle jette un regard circulaire sur l'assistance, et s'approche d'une femme très sophistiquée, qui porte sur elle des bijoux dont le prix doit dépasser tout l'argent que la gitane et sa nombreuse famille peuvent dépenser en deux générations. La haute bourgeoise essaye d'éviter la rencontre. Peine perdue. La gitane se plante devant elle, et avec le même sourire, elle lui tend le brin de romarin :
- Toma mi alma ! Que te va a traer suerte para salir de la crisis...
("Tiens ma belle, ça te portera chance pour sortir de la crise...")
Dans le bistrot, tout le monde rit sous cape. Tout le monde a toujours besoin d'être vengé de quelque chose...

Les services techniques de la Mairie de Séville continuent la taille des orangers à travers les rues de la ville. On slalome, le matin, entre les branchages odoriférants, et c'est bien la seule chose qui sente si bon dans ce pays...
Car l'histoire devient de plus en plus évidente : on se dirige une fois de plus, en Espagne, vers de nouvelles élections générales. Depuis plusieurs semaines, de longues discussions stériles réunissent les uns et les autres. Et il reste vingt jours avant que le délai prévu pour la formation du gouvernement expire. On se gardera bien d'essayer d'expliquer ce qui coince. Tout le monde peut le comprendre sans grande peine. Tout juste se permettra-t-on d'espérer que ceux des leaders ou des porte-paroles qui naîtront bien un jour de toutes ces Nuits debout qui se tiennent en ce moment un peu partout en France nous épargneront, le temps venu, les petits arrangements de pouvoir qui semblent embarrasser les dirigeants de Podemos...

La nuit debout, ici, c'est celle à venir. La première nuit de Feria, qui commence ce soir à minuit. La météorologie nationale annonce pour cette heure-là 14 degrés et une humidité de 10%. Parfait pour profiter de la nuit la plus longue, depuis l'alumbrado, la cérémonie de l'illumination de la Porte et du campo férial, jusqu'aux churros con chocolate du petit matin...
Cette nuit du lundi au mardi, elle n'était pas, il y a quelques années encore, loin s'en faut, l'événement public en quoi elle s'est transformée : le lundi soir, on célébrait dans les cassettes, entre soi, la fin des travaux d'installation. On avait, depuis une semaine et sur ses heures de loisirs, rejoint ses amis et dressé les toiles, les rideaux, accroché les lampions, installé les tables. Tout était prêt. Alors on fêtait ça, avec les autres bricoleurs, en partageant de grands plats de poissons frits. D'où ce nom de noche del pescaïto, la nuit du poisson frit. Le nom, c'est la seule chose qui est resté. Bien sûr, les cassettes ont à coeur de proposer à tous les boquerones, cazón en adobo et tacos de merluza, mais la tradition s'est transformée. L'inauguration officielle par le maire et l'illumination se sont converties en rendez-vous obligatoire pour tous les sévillans. Du coup, la nuit de lundi est devenue la plus longue...

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Dixième corrida d'abonnement. Entre deux tiers et la moitié. Six mauvais toros de Daniel Ruiz sauf le quatrième (belle lentille dans le plat de cailloux) pour Manuel Jésus El Cid, violet et or (silence et salut aux tiers un peu forcé), David Mora, rose et or (salut aux tiers et silence) et Daniel Luque, rouge sang et or (salut aux tiers aux deux)

Une chose est désormais établie : ce n'est pas la qualité des implants capillaires qui fait l'art taurin. La preuve ? Enrique Ponce et Manuel Jésus El Cid ont l'air d'avoir à peu près le même fournisseur. Et pourtant, l'impression qu'ils laissent sur le sable est complètement distincte ! La légende dit que si, dans une corrida, il n'y a qu'un un seul toro de bon, c'est le Cid qui le touche. Une sorte de "main de Dieu" qui le choisit toujours au moment du tirage au sort, auquel bien sûr il ne participe pas (Le Cid. Dieu non plus, ou alors en ce moment, il fait un piètre vétérinaire...) Ce fut encore le cas aujourd'hui, avec un grand toro (enfin !) sorti en quatrième position. Mais le Cid est essoufflé, artistiquement et physiquement, et il n'est plus capable que d'accompagner au mieux les qualités d'un animal. Pas suffisant pour triompher.
Quant à Daniel Luque et à David Mora, sans toros, ils eurent quelques gestes, comme on dit quand on ne sait pas trop quoi dire.

Bravo à l'aficionado de Boujan sur Lignan qui, dans un des bars les plus taurins de Séville, a réussi à coller le cartel de sa Fiesta campera sur celui de la Feria de Seville...

Bravo à l'aficionado de Boujan-sur-Libron qui, dans un des bars les plus taurins de Séville, a réussi à coller le cartel de sa Féria sur celle de Séville...

 

Miscellanées gourmandes à Séville (12)

Le Real Betis Balonpié, le mythique et fantasque club de football vert et blanc de Séville (rappelons sa devise : "Vive le Betis, même s'il perd") est actuellement douzième de la Liga avec 37 points. (on ne parlera pas de l'autre, le FC Seville, qui est un club terriblement normal, donc sans aucun intérêt...)
Si on compte bien, il ne manque plus qu'un point au Betis pour se maintenir. Le club enchaîne les petites victoires - un à zéro - sans panache, sans réellement trouver le fond de jeu clair et brillant que ses supporters appellent de leurs vœux. Mais bon. Ça se maintient, et c'est toujours ça...
On ira donc, à Santa Maria la Blanca, vérifier que toutes ces péripéties n'entament en rien la gaité et l'entrain des socios.
Dans un recoin de la place, plus tranquille, plus à l'ombre, on déjeunera à la Peña culturelle du club. Un bar populaire vert et blanc, avec ses chaises en bois pliantes, et son décor légèrement exagéré. Le menu du jour, excellent, est à 10 euros. Jetez un coup d'œil à la carte sur la photo.
Mais c'est avec les poissons frits que la Decana, c'est son nom, atteint l'excellence...
Comme son nom l'indique, la Peña est "culturelle". C'est à dire qu'elle organise des activités culturelles. Quand j'ai posé la question sur les sorties de l'année dernière, un des membres du bureau m'a répondu doctement : "L'an dernier, on a organisé une sortie pour aller visiter la Cathédrale." La cathédrale d'où ? Ai-je demandé. "Ben, celle de Séville, la Giralda !"
Donc, la seule activité de l'année, ça a été de faire 400 mètres aller et retour pour aller en ville. Ça c'est une Peña pour moi !
Et n'oubliez pas : mucho mucho Betis !...
Peña Cultural La Decana, calle Santa Maria la Blanca, 12

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