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Un avril à Séville (16)

 

Samedi 16 avril : à la limite...

La presse du coeur, qui continue en Espagne à passionner le public, s'intéresse cette semaine au matador de toros Manuel Diaz El Cordobes et à son ADN. Depuis vingt ans, Manuel Diaz prétend être le fils du grand Manuel Benitez, cinquième calife du toreo de Cordoue, titre prestigieux et honorifique qu'il partage avec d'illustres prédécesseurs, Rafael Molina Lagartijo, Rafael Guerra Guerrita, Rafael González Machaquito et Manolete.
Mais le vieux Cordobes n'a jamais voulu entendre parler d'un éventuel rejeton supplémentaire. Il a déjà, avec Martine son épouse française, qui vient d'ailleurs d'annoncer qu'elle allait demander le divorce, cinq enfants, dont le dernier, Julió, est lui même torero. Manuel Diaz a fait réaliser à plusieurs reprises des analyses ADN (il avait réussi à récupérer dans un restaurant la serviette de son géniteur présumé pour pouvoir y faire prélever des traces !) d'où il ressort, selon le magazine scientifique bien connu Holà ! qu'il est - à 99,9 % - le fils de l'idole des années soixante.
Maintenant, c'est la justice qui s'en mêle : hier, les deux toreros, Manuel Diaz et Manuel Benitez ont dû se présenter, séparément et en évitant soigneusement de se croiser, à l'hôpital universitaire de Cordoue pour se soumettre à des analyses biologiques. Elles diront si l'un est véritablement le fils de l'autre.
Manuel Benitez El Cordobes aura 80 ans le 4 mai prochain. Pas sûr qu'il ait rêvé d'un tel cadeau d'anniversaire...

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Dans la vis sans fin de l'ADN de José Antonio Morante de la Puebla, il y a sûrement de minuscules toros multicolores qui galopent lentement, lentement, lentement...
"Quand le toro charge rapidement, ce n'est pas possible de toréer avec lenteur"...
Dans le style lapalissien, Morante a apporté hier soir, après sa formidable faena devant un toro de Nuñez del Cuvillo, une contribution bestiale au grand débat sur le temple. Qu'est-ce que le temple ? La façon de ralentir la charge de l'animal, ou le fait de profiter de sa perte de vivacité ? C'est le toro, fatigué, qui ralentit de lui même, ou c'est l'hypnose de la muleta qui ralentit le toro ? C'est la poule, ou c'est l'œuf, qui ralentit ? Morante dit : pour ralentir le toro, il ne faut pas qu'il aille vite. Olé !

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Quinzième corrida de l'abonnement. Trois quart d'arène. Six toros de Fuente Ymbro pour Finito de Córdoba, Barane et or (silence et silence), Juan José Padilla, bleu roi et or (oreille et deux oreilles) et David Fandila El Fandi, violet et or (petite ovation et oreille).
C'était un cartel de "à la limite"... À la limite les toros de Fuente Ymbro, qui réussissent parfois l'impossible harmonie entre la présence, la sauvagerie et la noblesse. À la limite, Finito devant ces Fuente Ymbro, qu'il connaît si bien... On l'a vu tellement souvent génial en tienta devant les vaches de cet élevage. Certes il y a bien longtemps qu'il s'économise, bien longtemps qu'on ne l'a pas vu sortir de lui-même pour piétiner la fameuse ligne rouge. Mais à la limite...
À la limite Padilla, pour la lidia, sa présence en piste. À la limite le Fandi, pour les tercios de banderilles qui sont toujours spectaculaires et qui "montrent" les toros. À la limite...
La pluie est tombée drue jusqu'au dernier moment. À la limite, on aurait dit que tout était calculé. Le temps de transporter jusqu'au Baratillo la moitié de la plage de Matalascañas pour éponger les flaques, et le paséo s'est élancé avec vingt cinq minutes de retard.
La suite manqua un peu d'intérêt soutenu. Les toros de Fuente Ymbro n'ont pas toujours donné le jeu attendu.  À l'exception notable du cinquième, rempli de classe, et que Padilla toréa comme toréé Padilla, et du sixième, qui se laissa. Chacun, devant, fit ce qu'il savait faire. Ou pas. Le public du samedi de Feria aime les Porta Gayola, les grandes enjambées, les pirouettes en l'air et les postures martiales. On se demande pourquoi la musique accompagna la première faena de Padilla. Quant à lui octroyer une oreille pour ce toro, un jour peut-être on nous expliquera. Mais le piège était ouvert, qui se referma au cinquième : les deux oreilles exigées par le public conduisaient tout droit à la Porte du Prince. Et Padilla a désormais toutes les chances de finir triomphateur de la Feria ! On se pince. Et on voit bien, avec un peu d'inquiétude, que tous les élastiques de cette merveilleuse arène se détendent chaque jour un peu plus...
On se dit surtout, lorsque les clameurs se turent, qu'il faudrait attendre jusqu'au 24 septembre prochain pour y revoir Morante.
Parce qu'à la limite, aujourd'hui, on s'est un peu emmerdé.

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Miscellanées gourmandes à Séville (17 et dernière)

On dira qu'on a gardé le meilleur pour la fin. C'est encore pire que ça. La trastienda de la Casa Moreno, tout près de la Plaza Nueva, dont il est question aujourd'hui, ferme dans deux heures, jusqu'à lundi. Le calcul machiavélique que je fais, c'est que tous les français qui assistent en ce moment à la Feria seront repartis lundi, et que cet endroit merveilleux, unique dans le centre de Séville, gardera son caractère secret, réservé aux habitués. On appelle ça une contradiction : donner des adresses pour qu'on ne puisse pas y aller...
Une trastienda, c'est une arrière boutique. Y eso es : vous entrez dans une minuscule épicerie - un ancien ultramarino - dont les murs sont recouverts de conserves multicolores, et dont le ban vitré accueille toutes sortes de charcuteries. Mais vous ne vous arrêtez pas : vous longez les sacs ouverts de légumes secs, lentilles, pois chiches, fèves... Et vous passez au fond dans l'arrière boutique, une caverne dédiée aux légumes en boîtes et en bocaux, à la Semaine Sainte et au bon toreo sévillan. Sur les murs, des photos anciennes, des affiches, et des dizaines de petits papiers remplis d'aphorismes ou de recettes de cuisine. Un long comptoir ne laisse qu'un mètre pour se faufiler contre le mur, et se caler pour déguster la tapita. Car on vient ici pour la seconde pause de la matinée, pas celle de la tostada ou des churros, mais celle où l'on passe au vin ou à la bière. Les tapas sont ici réglementaires : présentées sur une rondelle de pain, comme le veut l'usage historique. Pas de conneries modernes du genre vérine ou autre ardoise. C'est pas le genre de la maison. On recommande la soubressade, le jambon, ou le sensationnel saumon fumé au cabral. On est debout, serré, la bière se sert en bouteille, la pression est réservée à la Manzanilla... Un endroit hors du temps, sympathique, et on l'aura compris très populaire.
Casa Moreno, Gamazo 7

C'est la dernière adresse que je vous donne. Pas que je sois arrivé au bout de mes découvertes, ce serait plutôt le contraire. Pas non plus que je m'en aille, ou que je m'arrête de manger... Mais d'autres travaux d'écriture m'attendent, et il ne faut pas être partout. Séville reste une ville avant tout gourmande. Ouvrez les yeux, fouillez les recoins, goûtez, goûtez, goûtez, parlez aux gens et notez leurs adresses. Et faites tourner à votre tour.
Ça a été un plaisir.

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