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Oloroso

Premier épisode

Par Elvire Oliu Imbart

 

 

A ma fille et à mon mari

                                                                                  Y al Dibujante para que sepa que nunca renunciaré.

 

 

Pierre sortit de chez lui et regarda machinalement le clocher de l’église St Vincent de Paul. Dans cette rue, en plein dixième arrondissement de Paris, la vue de l’église le rassurait chaque jour un peu plus… Il tripota machinalement la médaille de la Vierge du Rocio qui pendait à son cou. Il devenait presque bigot, et en rigola intérieurement… L’âge, sans doute, pensa-t-il, et son téléphone sonna.

- Fosca, j’écoute !

- On nous signale une disparition inquiétante de personne majeure…

- … Et donc ?

- C’est sans doute un enlèvement.

Il était de repos ce jour-là, et fit mentalement une croix sur tous ses projets : il devait appeler pour prévenir qu’il ne serait pas là au tournoi de pétanque, au bord du canal de l’Ourcq, et l’idée de devoir dire adieu aux nombreux pastis l’énerva passablement, « me font caguer » dit-il en s’engouffrant dans le métro.

Arrivé au 36 quai des Orfèvres, il monta directement dans son bureau. En tant que commissaire divisionnaire, c’était l’un des derniers avantages qui restaient de la profession.

Il décrocha le téléphone et appela le planton de service :

- Vous m’apportez le début de dossier…

- C’est que… Disons que les proches de la personne disparue n’ont pas voulu déposer tant que vous n’étiez pas là…

- Mais c’est quoi ce bordel ? C’est le Pape qui a disparu ou quoi ?

- Non c’est le Président de… Attendez, je cherche : ah voilà ! Le Président de l’Observatoire des Cultures Taurines.

Fosca resta sans voix.

Le mot «  taurine » le fit sursauter…

- De l’Observatoire de quoi ?...

- Des cultures taurines, un truc sur des taureaux, répondit le planton.

- Bon, faites moi monter tout ce beau monde. J’y comprends rien…

Trois hommes attendaient depuis trois heures maintenant que quelqu’un s’intéresse à eux.

- Messieurs entrez je vous en prie. Quel est le problème ?

Les trois hommes ne se battaient pas pour parler. Enfin le plus jeune ouvrit la bouche pour bafouiller :

- Lucien Mirande, il a disparu… on avait rendez-vous et puis…

Le commissaire Fosca en eut soudain marre de ces trois pantins mous debout dans son bureau. Le plus jeune parlait avec un accent du sud prononcé, mais avec une voix fluette qui l’exaspéra au bout de trois mots.

- Bon écoutez on va la refaire moins crispée et… plus vite. Dans deux cas sur trois les disparitions de personnes majeures sont volontaires. Il est parti acheter des clopes et il n’est pas revenu c’est ça ? Il s’est engueulé avec sa femme ? C’est qui d’ailleurs ce Mirande ?

Le plus âgé s’avança d’un pas. Cheveux frisés, nez imposant sur lequel reposaient de petites lunettes. Il fouilla dans sa moustache pour y extraire une longue tirade…

- Monsieur, nous sommes ici pour signaler la disparition de Lucien Mirande, Président de l’Observatoire des Cultures Taurines. Il n’a pas pu disparaitre de son plein gré. Nous avions rendez-vous avec le groupe d’étude sur la tauromachie de l’Assemblée Nationale. C’est une personnalité importante du monde des toros, il était menacé par les anti-corrida depuis longtemps… Et il ne répond plus nulle part. Ça peut être son genre de ne pas décrocher, mais pas aujourd’hui, pas à Paris, pas avec nous. C’est une disparition inquiétante, vraiment. Et cela fait plus de 24 heures que nous n’avons plus aucune nouvelle…

Toros, corrida, tauromachie… Fosca sentait son cœur se serrer. Il manquait un peu d’air. Lui qui pensait ne plus jamais entendre ces mots, il fut surprit de se sentir aussi mal.

- A qui ai-je l’honneur au fait ? demanda-t-il pour masquer son malaise.

Les trois hommes se présentèrent : un universitaire, un ancien diplomate, et un des meilleurs toreros français du moment. Rien que ça dans son bureau. Il était verni. Ça le changeait des corses, des putes et des petites frappes.

- Pour résumer : vous aviez tous rendez-vous à l’Assemblée Nationale avec des députés membres du groupe d’étude sur la tauromachie, c’est ça ? Et le président de l’Observatoire n’est pas venu au rendez-vous ? Il était menacé par les militants anti-taurins, et il ne décroche plus depuis 24 heures, c’est ça ?

Le diplomate, un petit chauve au regard d’aigle, acquiesça d’un mouvement de tête.

 

Lucien Mirande se réveilla. La bouche en sang. Les mains attachées. La tête prête à exploser.

Il était au milieu d’une salle toute carrelée de blanc. Une chaleur moite régnait dans la pièce.

Il tenta de parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. En revanche, un crachat sanguinolent coula sur sa cravate. Lui qui n’en portait jamais, il se rappela soudain le pourquoi de son accoutrement.

Epuisé, il s’effondra, et ses yeux, d’habitude rieurs, se voilèrent de larmes.

 

(à suivre samedi prochain...)

 

 

 

 

Elvire OliuElvire Oliu Imbart est née en 1983. Catalane des deux côtés. Jeunesse à Montpellier puis Madrid et Almeria, où elle termine des études de lettres hispaniques, et Paris pour passer son diplôme de journalisme. Elle vit à Paris où elle exerce cette profession. Elle est mère d'une fillette "née 15 jours après la tarde historique de José Tomas à Nîmes en 2012 qui s'appelle Joséphine (mais c'est pas QUE pour ça...)". Les toros depuis toujours.
Oloroso est sa première fiction...