Deuxième épisode
Par Elvire Oliu Imbart
Fosca remonta de la cave en soufflant. Il en était encore à se demander dans quelle mesure les toros croisaient sa route, lui qui avait tout fait pour les oublier. Il avait fui ses terres taurines depuis maintenant 15 ans. Il ne rentrait même plus chez lui. Sa ville le faisait gerber. Il était de Béziers. Déjà qu’il avait toujours eu honte de l’adjectif qualifiant ses habitants, aujourd’hui plus que jamais il exécrait tout ce qui s’y rapprochait. « Ne m’appelez plus jamais biterrois » avait il même chanté un soir bourré en rentrant chez lui.
Pierre avait grandit dans le quartier des arènes de Béziers, avenue du 22 août 44, tout proche du commissariat de police. Excellent élève, il était parti faire son droit à Montpellier avant de rencontrer celui qui allait bouleverser son existence. Celui qui allait le faire passer de simple étudiant en droit à maletilla.
Pour le meilleur, mais surtout pour le pire.
Il avait les toros dans la tête depuis cette suspicion d’enlèvement. Pierre Fosca avait mal à sa fémorale… et à son cœur. Grand sentimental devant l’éternel, il avait osé descendre à la cave et remonter sa boîte à souvenirs. Elle était posée sur la table de la cuisine, un bout de muleta dépassait du carton.
- Messieurs bonjour, entrez je vous en prie. J’ai une bonne nouvelle : suite à votre dépôt de plainte et aux menaces dont le président de l’Observatoire des cultures taurines était victime, le procureur accepte d’ouvrir une enquête pour enlèvement suivi de séquestration. Ce qui veut dire que l’on va chercher ce monsieur Mirande, déclara Fosca en posant sa main sur un dossier vert.
Les trois compères, l’universitaire, l’ancien diplomate et le torero tout en retenue se contentèrent de baisser la tête en signe de reconnaissance.
- Il va donc falloir que je vous pose un certain nombre de questions, continua Fosca qui se demandait si l’un des hommes allait ouvrir la bouche… Et il va falloir y répondre si vous voulez retrouver votre ami, dit il en insistant sur le mot « répondre ».
L’universitaire, toujours très attaché à sa moustache, le regarda avec des airs de philosophe grec, et lui assura « toute leur entière collaboration avec les forces de l’ordre ».
- Je m’en réjouis, répondit très poliment Fosca. J’ai besoin d’en savoir un peu plus sur Lucien Mirande, son activité, son entourage…
Le torero, visiblement le plus ému par cette affaire, commença à parler, d’une toute petite voix, toujours en baissant la tête. Il était apparemment plus facile pour lui de s’exprimer face à un Miura que face à un commissaire. Fosca le comprenait tellement.
- Lucien est le président de l’Observatoire des cultures taurines, en gros c’est une association pour protéger la corrida. C’est lui qui a monté tout ça pour…
- Pour quoi ?...
- Pour donner un caractère officiel à notre combat, et contrer les antis taurins. Ce sont eux commissaire. J’en suis sûr. Mirande était menacé depuis des années.
Fosca avait déjà fouillé de ce côté, et convoqué certains radicaux de la cause animale pour le lendemain.
- Mirande se sentait menacé ici à Paris ? Quand vous l’avez vu pour la dernière fois ? Vous l’avez trouvé comment ? C’était où d’ailleurs ?
L’ancien diplomate fouilla sans sa mémoire :
- C’était… Ben c’était donc avant hier soir. Au Harry’s bar. On y était tous les trois, Mirande et une fille. Une grande blonde. Une connaissance de Mirande. C’était elle qui avait insisté pour le Harry’s bar, elle nous avait expliqué que c’était de ce bar qu’Hemingway était parti libérer le Ritz des allemands… et qu’il fallait y aller en hommage, enfin tout ça…
Fosca nota de rencontrer cette grande blonde aux intentions plus que louables et à la culture intéressante.
- Bref, continua le chauve, en fait cette fille on la connaît pas, elle boit par contre ça, pour picoler elle est forte. Du coup on reste quoi… jusqu'à minuit disons. Puis on s’en va. Mirande logeait dans un hôtel dans le XIVème. La fille lui a indiqué le bus 68 direct jusqu’à Alésia depuis l’avenue de l’Opéra. Et voilà, on s’est séparé. On se voyait le lendemain à 11 heures, on avait rendez-vous devant l’Assemblée. Et le lendemain, il n’est pas venu. Il ne répondait pas, ni à son portable ni à son hôtel. On a commencé à s’inquiéter vers 22 heures, parce qu’on devait dîner et que là, une journée entière sans réponse, ça devenait bizarre. L’hôtel non plus ne l’a pas revu, sa clé est toujours là.
- Mirande a donc disparu sur le trajet du 68 ou après. Vous pouvez me donner le contact de cette fille ? Ils sont rentrés ensemble ? demanda Fosca
L’universitaire bégaya…
- Aucune idée je… on ne sait pas, on ne la connaît pas cette fille. Elle était sympa, jeune, drôle et aficionada. On a parlé de tout et de rien avec elle. Le seul truc…
Fosca sentit que l’universitaire aux airs de philosophe grec hésitait à dire quelque chose…
- Tout peut être important, dit il en s’approchant comme pour recueillir une confession…
- Elle le regardait… Monsieur le commissaire je ne voudrais pas lancer de rumeurs, mais croyez ma vieille expérience du genre humain… Mirande et cette fille, ils s’aiment bien.
- Ils couchaient ensemble vous pensez ?
- Non, je n’ai pas dit ça ! Ils s’aimaient bien, ça se sentait.
Fosca aimait bien sa voisine, il se la tapait aussi et eut du mal à saisir la nuance.
Il allait chercher cette grande blonde.
Lucien Mirande était trempé de sueur. Il était toujours attaché, et peu à peu, il commençait à rassembler ses souvenirs.
Le bus, Constance et son rire insupportable, Paris by night… La descente du bus à Alésia, l’avenue du Général Leclerc à remonter vers son hôtel. Et soudain l’étourdissement.
Il commença à se souvenir vaguement d’un coup derrière la nuque, de ce poing sur son visage, de son arcade sourcilière dont gicla des geysers de sang. Et son nez explosé dont une matière gluante s’écoulait des narines.
Mirande avait du mal à respirer… Il eut une montée d’angoisse qui le paralysa encore plus, et se demanda ce qu’il foutait là. Les antis ? Enlevé par des antis. Il ne voyait pas d’autre explication. Il faisait une chaleur de bête dans cette salle, et Lucien Mirande, pour la première fois de sa vie, se demanda s’il n’allait pas crever la bouche ouverte.
(à suivre samedi prochain)
Elvire Oliu Imbart est née en 1983. Catalane des deux côtés. Jeunesse à Montpellier puis Madrid et Almeria, où elle termine des études de lettres hispaniques, et Paris pour passer son diplôme de journalisme. Elle vit à Paris où elle exerce cette profession. Elle est mère d'une fillette "née 15 jours après la tarde historique de José Tomas à Nîmes en 2012 qui s'appelle Joséphine (mais c'est pas QUE pour ça...)". Les toros depuis toujours. Oloroso est sa première fiction...