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Oloroso 7

Septième épisode

Par Elvire Oliu Imbart

 

- Vous savez comment ça marche une feria ? Et une corrida vous en avez déjà vu ? Non, parce que je vous explique, si vous voulez… Vous logez où ? Vous y allez pourquoi en fait ?

Elle ne s’arrêtait pas de parler. Des rafales de questions. Des yeux immenses, et des lèvres charnues. Fosca n’en pouvait déjà plus. Constance n’avait pas attendu que le TGV quitte l’Ile de France pour s ‘installer à côté du commissaire.

Paris/Arles : 3h55 de voyage.

Fosca, sous l’effet du Xanax, respirait un peu mieux.

- En fait, je connais tout, et sans doute mieux que toi.

Constance soupira.

- Non mais faut pas craindre l’ignorance, ce n’est pas la peine d’inventer… Avouez que vous n’y connaissez rien. Je vous explique moi.

- Je suis né à Béziers, la corrida a été ma passion. Je voulais être matador. Maintenant, si tu veux que je te raconte, ferme-la un peu. Et si tu ne veux rien savoir, retourne à ta place j’ai du travail.

Pour la première fois depuis longtemps, Constance se tue. Honteuse.

- J’ai été l’un des premiers maletillas français, tu sais…

- Non mais j’hallucine ! Un flic maletilla !

- Ecoute, si tu m’interromps toutes les deux secondes on ne va pas s’en sortir…

- Pardon, pardon… mais c’est tellement fou !

- C’était pendant mes études de droit… avec un ami, on a tout abandonné pour partir sur les routes des toros. A pied, en train, en stop... tu vois le cliché des maletillas romantiques qui parcourent l’Espagne avec leur muleta en baluchon ? Ben, pareil. Avec moi et mon pote, en plus jeunes, moins gros et moins cons aussi…

Fosca avait déjà envie de pleurer. Putain de Xanax et ses effets secondaires… Il détourna la tête vers la fenêtre.

- Mon pote, il s’apellait Jean Dombres. Il était de Nîmes.

- Pourquoi il était… Il est plus là ? Ah je sais c’est plus votre pote pour une histoire de toro ? Ou de meuf ?

L’avantage de Constance et sa jeunesse, c’est que même si elle était familière de la tragédie taurine, elle ne pensait pas une seconde que les gens pouvaient crever comme ça si jeune.

Fosca la regarda. Il remarqua que ses yeux tremblaient. Elle venait de comprendre.

- Non, sérieux il est... décédé ?

Elle avait dit « décédé » d’une petite voix, la mort même en parole faisait peur aux jeunes.

- Il est mort, oui.

Fosca n’en menait pas large. Il n’avait jamais raconté son histoire à quiconque, encore moins à Paris, où les coups de cornes ne font pas forcément partie du quotidien.

Il avait les mains moites, la lèvre tremblotante.

Constance le regarda avec ses grands yeux ronds. Elle ne savait pas quoi faire, ni quoi dire, elle changea de sujet.

- Heu… Vous logez où à Arles ?

- Nord Pinus pourquoi ?

- Ah c’est cool ! La police, ils ont les moyens. Vous venez faire quoi en fait ? Vous savez que Lucien Mirande est toujours porté disparu ? Non parce qu’il est peut être mort…

- Peut être…

Constance le regarda avec effroi sans savoir si c’était du lard ou du cochon.

- Mais non ! On l’aurait su ! Jamais personne ne s’encombre d’un cadavre dans Paris.

On annonça Arles. Constance et Fosca se regardèrent.

Elle se leva lentement :

- Je retourne récupérer mes affaires, on se retrouve sur le quai.

Sur le quai de la gare d’Arles, on entendait les fanfares au loin, ça sentait le toro et la liberté comme avant… Fosca se sentit nostalgique.

- Hé commissaire, fit Constance en le secouant légèrement, je dois y aller… Je passe vous prendre à l’hôtel après la corrida. On fera la feria ensemble. Vous avez des choses à me raconter… Votre pote, il est mort comment ?

- Non mais je suis là pour travailler, si jamais ça vous avez échappé… Pas du tout pour me taper des tertulias et des Ricard dans des verres à ballons…

Constance s’en alla le long du quai en trainant sa valise et ses rêves d’aficionada. Elle lui lança un poignard en guise de regard.

 

Mirande commença à trouver le temps particulièrement long. Cette odeur de fleur d’oranger et de bergamote senti l’autre jour le taraudait, mais il ne savait pas pourquoi. C’était son obsession, à défaut de pouvoir penser à autre chose. Fleur d’oranger, bergamote… Il se répétait ces deux noms. Il avait déjà senti ça quelque part. Il n’y a pas si longtemps.

Constance !

C’était son parfum. Il s’en souvenait maintenant. Ils en avaient même parlé dans le bus, de cette odeur qui le ramenait au thé de sa femme.

Constance mouillée dans son enlèvement ? Complice ?

Il se mit à paniquer. Ce n’était pas possible ! Sa taupe anti taurine, si jeune… Elle à qui il avait tout appris ! Il eut tout à coup l’impression de ne plus la connaître. L’angoisse le pétrifia. Il ne bougeait plus, et se laissa tomber sur le carrelage. Il n’avait quand même pas pu se faire avoir à ce point !...

 

(à suivre samedi prochain)

 

 

 

Elvire OliuElvire Oliu Imbart est née en 1983. Catalane des deux côtés. Jeunesse à Montpellier puis Madrid et Almeria, où elle termine des études de lettres hispaniques, et Paris pour passer son diplôme de journalisme. Elle vit à Paris où elle exerce cette profession. Elle est mère d'une fillette "née 15 jours après la tarde historique de José Tomas à Nîmes en 2012 qui s'appelle Joséphine (mais c'est pas QUE pour ça...)". Les toros depuis toujours. Oloroso est sa première fiction...