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Séville 14 avril 2018 Illuminer

« J'ai beau faire, tout m'intéresse » disait Paul Valéry…

La Feria commence donc ce soir à minuit. On a suivi l’an dernier ce débat assez irréel (ne jamais employer l’adjectif « surréaliste » dans ce genre d’occasion. Ce serait oublier que le Surréalisme était un mouvement intellectuel et révolutionnaire, qui voulait envoyer se faire foutre le vieux monde. Pas une aimable et originale fantaisie, encore moins une conversation de bistrot, fut-elle sans queue et sans tête) sur le changement des dates de la feria. Le lundi du pescaïto, le poisson frit, qui donne traditionnellement depuis des décennies le signal du début de la Feria, et où l'immense porte d'entrée du campo férial s'illumine à minuit tapante, le lundi du poisson frit aura donc lieu... samedi soir. C’est moderne, et ça permet aux vendeurs de limonade (c’est une expression, comme « surréaliste »…) de profiter des consommateurs pendant tout un week-end supplémentaire.

Il y aura cette année 1052 cassettes, une de plus que l’an dernier ! Une cassette double a perdu son accréditation pour faute de paiement de cotisation, et on l’a divisé en deux. Deux heureux élus sur la liste d’attente, qui en compte plus de mille, dont certains attendent depuis vingt cinq ans !

Les principales nouveautés : les cassettes de districts proposeront des aliments sans gluten ; il y aura six urinoirs publics supplémentaires ; la mairie distribuera 16 850 éventails ; et la Feria consommera chaque jour 2200 mégawatt/heure, ce qui représente semble-t-il la consommation d’une ville de 50 000 habitants. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas encore trouvé cette année ma brève favorite : mises bout à bout, les bouteilles de Manzanilla que l’on prévoit de consommer pendant la semaine représentent la distance de la terre à la Lune. Ou de Carcassonne à Menton. Autant de chiffres qui ne signifient qu’une chose : la démesure de cette fête qui va rapporter à la ville 90 millions d’euros chaque jour. Quand même.

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Juste après le paseo, la moitié des spectateurs du tendido 8 déployèrent en silence des affiches revendicatrices un peu obscures pour qui ne suit pas les affaires au quotidien : "10% I.V.A." proclamaient les pancartes. Elles soulignaient la manipulation financière réalisée au guichet par l'empresa : la TVA a bien baissé de 10% cette année, et pas le prix des billets...

Dans les journaux, les sangliers sont "solitaires" et les frappes "chirurgicales". Dans ce lexique à la Pécuchet, les chroniqueurs taurins du jour vont certainement piocher les mêmes perles dont ils raffolent : accoudé au "palco céleste", Victorino père - il est mort le 3 octobre dernier - a du faire la gueule devant la "combativité" de ses toros. Il a dû aussi, comme il le faisait de son vivant, ronchonner, vilipender avec plus ou moins de discrétion le peu de savoir faire de tel picador, ou d'envie de tel torero.
La tauromachie toute entière appelle ce genre de topique : la devise noire sur le dos des toros rappelle que nous sommes ici dans un monde de rituels et de répétitions. Et que c'est aussi ce que l'on vient chercher ici.
Donc, feu Victorino a vu un premier toro impossible, arrêté et vide, et un second bien compliqué mais qui, sur la corne gauche, et pour autant que l'on prit tous les risques, pouvait laisser quelques séries sur le sable. Au troisième, mal fait et pas non plus dans le type de la maison, qui sema la panique aux banderilles en prenant très sèchement Juan Contreras pour le jeter au sol, il a dû commencer à vraiment se faire du mouron. Le mouron, on le rappelle, est une plante à la con qui ne sert pas à grand chose.
Daniel Luque fit un effort important et méritoire, sans jamais pouvoir se confier tout à fait. Comme Manuel Escribano, au cinquième, qui mit les arènes debout en électrisant une porta gayola - la seconde pour lui cet après-midi - suivie d'une série brillante et tendue de véroniques conquérantes.
Il fallut attendre le dernier pour voir véritablement toréer. Soumettre un animal, en l'obligeant à suivre les leurres. Daniel Luque, dont la muleta s'est affirmée, eut quelques séries pour en profiter. Et nous avec.
On est toujours heureux d'aller voir une corrida de Victorino Martin. On a l'impression de sortir d'une routine, et de pouvoir s'attendre à tout. Des fois, ça ne dure pas...

Quatrième corrida de la Feria d'avril
Six toros de Victorino Martin pour :
Antonio Ferrera, Malabar et or, silence et silence.
Manuel Escribano, noir et or, saluts aux tiers et vuelta.
Daniel Luque, chocolat 90% et or, silence et silence.

 

Derrière l'église du Salvador, sur la petite place de la Cuesta del Rosario, on se rendra, sur les coups de midi, à la petite bodega La Mina. Pas en terrasse, avec les chalands. On restera à l'intérieur, sous les images répétées de visages de Christs en peine. On commandera une Manzanilla, servie ici à la pression, et qui vient tout droit de Sanlucar de Barrameda, et une tapa "d'Anchoas imperiales". Deux longs engraulidés lisses et sombres, merveilleusement doux. Un délice rare, que nous préconisons.

 

Demain, les amateurs de ginetes ne rateront ni Sergio Galan, ni Andres Romero ni bien sûr Léa Vicens, qui combattront dans les arènes de la Maestranza des toros de Fermin Bohorquez.

Les amateurs de polémique iront, eux, à Espartinas, dans la banlieue sévillane, où Diego Ventura, fâché avec les organisateurs sévillans à propos de ces toros de Bohorquez, a monté sa propre corrida avec un autre bétail, et vingt chevaux différents, pour dignement fêter ses vingt ans d'alternative...