Domingo-Feria

Séville 16 avril 2018 Pardonner

On tient notre "faisan du jour". Un homme d'une soixantaine d'années que la police a arrêté dans les allées de la Feria de Séville. Il se faisait passer pour un inspecteur du gaz, en tournée dans les cassettes pour vérifier la sûreté de leurs installations. Il considérait longuement les tuyaux de gomme et leurs parcours, branlotait le détendeur sur la bouteille, hochait gravement la tête et disait que pour cette fois, ça allait... Puis il demandait 25 euros pour le service. C'est là semble-t-il que les problèmes ont commencé. Car les policiers locaux qui procédèrent à sa neutralisation n'ont évidemment trouvé aucune trace dans l'administration de la ville d'une telle mission de contrôle. Voyez le triste sort de ceux qui, en ces temps pourtant de principes de précaution, se soucient de la sécurité de leurs contemporains. Et pour 25 euros...

Le secrétaire de rédaction de l'ABC de Séville, lui, aurait dû vérifier les tuyaux entre son cerveau et son ordinateur : il annonce ce matin que la corrida du jour réunira Sébastien Castella, José Mari Manzanares et Alejandro Talavante et des toros de Nuñez del Cuvillo. Le problème c'est que c'est le cartel de demain. Pour ce soir, Enrique Ponce et le Juli apprécieront.

Dans le centre ville, juste derrière la Campana, la calle Daoiz est en fait une place. Piétonne et ensoleillée. Triangulaire contre l'église Santa Marta. Le café restaurant du même nom propose des revueltos de la casa avec du jambon... et des frites entières. Délicieux. Comme leur poulet frit à l'ail. "Ha salido el arroz ?" demande, un peu inquiète, la vieille dame qui s'installe en terrasse avec son vieux mari. "Ha salido..." rassure le patron. Le riz est sorti du four. En face, la petite vitrine de Pichardo, le magazin de farces et attrapes expose quelques articles du meilleur goût. Lamentable costume de toréador, soulèves-plats, boules puantes, dents de monstres, jusqu'à l'international étron en plastique. On peut rire de tout ; n'importe où...

Enrique Ponce a toute une panoplie de petits hochements de tête pour signifier que ce toro, décidément, il n'est pas facile... Depuis vingt huit ans qu'il s'en fait passer dans les jambes par la droite et par la gauche, il doit se dire qu'il a bien le droit, de temps en temps, de manifester, même de façon minuscule, sa déception et son désappointement.
"L'expérience est une lanterne qui ne sert qu'à éclairer le chemin parcouru", dit un proverbe sur les gaufrettes. C'est bien des conneries de pâtissier. L'expérience, c'est ce qui permit au Juli de voir tout de suite la franchise de son premier toro, Chumbo, dans les leurres, malgré la forte présence de ses 584 kilos. Au point que dans la première série, lorsqu'il trébucha et se retrouva par terre, il décida d'y rester et de toréer à genoux ! Le toro garda sa douceur et sa noblesse, mais s'épuisa, et la faena fut courte, comme ici on les aime. A nos âges, on ne va pas se mettre à compter les oreilles, mais il nous sembla qu'elles étaient quand même un peu trop nombreuses.
L'expérience, c'est aussi, au delà de la gaufrette, ce qui éclaira Ponce et lui laissa imaginer, dans le désordre apparent de Tratante, son second adversaire, un large fond de noblesse. Ce qui l'aida aussi à retenir le toro dans les toiles, quand son engagement commença à se fissurer.
Puis vint Orgullito, le cinquième, et le Juli trouva tout de suite le son de ce toro d'exception. Il accorda la douceur du toro et celle de sa muleta. Puis, quand il fallut le pousser dans ses retranchements, il ouvrit un registre plus volontaire, tendit une muleta plus ferme. Et il trouva, pour chaque série, la distance et le rythme exact, le geste juste, sûr. Il modula la rigidité de sa muleta, jusqu'à ce qu'une terrible évidence s'empare des spectateurs : ce toro venait de se sauver la vie. Il ne restait plus qu'à lui pardonner...
On pourrait discuter - tout le monde va s'y employer, soyez-en sûr, et dire tout et son contraire ! - des nuits entières pour savoir si ce toro méritait la grâce. Soyons clairs, pour une fois : on s'en fout royalement. On s'est régalé.

Sixième corrida de la Feria de Séville
Six toros de Garcigrande-Domingo Hernández pour :
Enrique Ponce, rouge thyrien et or, silence et une oreille.
Julian Lopez El Juli, fausse émeraude et or, deux oreilles et deux oreilles symboliques après la grâce du toro. Sortie en triomphe par la Porte du Prince.
Alejandro Talavante, satin noir et perles noires, silence et silence.

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les cabrillas, très différents des caracoles...

Dans un des coins de la fameuse place de Alfalfa, là où se tenait jadis le marché aux oiseaux - on aura connu ça, le dimanche matin, avant la grippe aviaire !... - dans le recoin de la rue San Juan, se tient Los Caracoles, un des établissements populaires les plus classiques de Séville. "Caracoles" signifie, on le sait, escargots. Les romains inventèrent, en Andalousie, des fermes d'élevage pour ces délicieux gastéropodes. Déjà les bêtes à cornes. Et c'est justement la saison qui commence. On a vu ces jours-ci ressortir le fameux écriteau "Hay caracoles !" On viendra donc ici éprouver, en s'en tenant aux recettes traditionnelles qui ne convoquent que quelques herbes de la marisma, les subtiles différences entre "cabrillas" et "caracoles". Car c'est bien ce débat que nous préconisons.

Demain donc, comme en a rêvé le secrétaire de rédaction de l'ABC, Sébastien Castella, José Mari Manzanares et Alejandro Talavante affronteront les toros de Nuñez del Cuvillo.