Coqs

Séville 22 avril 2018 Ramasser

Samedi matin, aux alentours de cinq heures, dans les lumières encore hésitantes de l’aube grise, une patrouille de la Guardia Civil de Cantillana effectuait un contrôle de véhicules et d’alcoolémie sur le bord de la route. En les voyant, une voiture de tourisme entreprit de faire demi-tour. Bingo ! On se mit à ses trousses, on perdit un peu le contact, et on la retrouva finalement, abandonnée par ses occupants contre un talus. Dans la fouille, les agents découvrirent des pinces, des pieds de biche, tout l’attirail du petit cambrioleur. Ils trouvèrent aussi onze coqs de combat, serrés dans des cages, et dont la valeur est estimée à 11 000 euros.

Chacun se débrouille… Ici, dans les situations les plus ordinaires, lorsque surgit un minuscule événement, un ami sévillan te dira toujours : « Conoces el chiste ? » Tu connais la blague ? Car il y a toujours, pour chacune des situations de la vie, une blague sévillane qui correspond. J’ai trouvé ce matin une pièce de monnaie, par terre, sur un trottoir de la Puerta de la carne. « Conoces el chiste ? » m’a dit l’amie qui m’accompagnait. Le voilà. C’est un sévillan qui marche et qui trouve, sur le trottoir entre ses pieds, une pièce de dix centimes. Il la pousse du pied, réfléchit, tergiverse (franchement, se baisser pour dix centimes !). Finalement, il fouille dans sa poche, trouve une pièce de deux euros, la laisse tomber par terre à ses pieds et, tout content : « Ah ! Là, oui, deux euros dix, ça vaut le coup ! » Puis il se baisse et ramasse les deux pièces… C'est ce relativisme engagé et narquois qui fait la marque de l'esprit sévillan.

La fête sévillane, qui empêche le plus souvent de voir la réalité de la vie quotidienne des andalous, a bien sûr, on s’en doute, une face plus sombre. Tout au long de l’année 2017, plus de deux mille sévillans ont suivi un traitement contre les addictions. Cocaïne, alcool, héroïne, cannabis… Dans la province de Séville, vingt sept centres spécialisés se dédient à l’accueil et à la cure des personnes dépendantes. Les autorités sanitaires tirent la sonnette d’alarme sur ce qui, de plus en plus, se transforme en problème de santé publique.

On ignore si certains aficionados, « accros » aux toros braves, ont fréquenté ces cliniques. Mais leur drogue dure est de plus en plus compliquée à trouver. Les dealers se font rares et peu prodigues.

Dans ce monde de dealers, le cartel de Miura est un des plus respectés. Impossible de savoir à l'avance comment sortiront les produits de la maison. Mais la garantie des surprises, bonnes et mauvaises, est toujours vive. La corrida de clôture de cette Feria 2018 était donc, cet après-midi, frappé du célèbre fer des pensionnaires du campo de Zahariche. Le premier toro venait de loin, fier et lourd (606 kg). Tout au long d'un tercio de banderilles vibrant, Escribano lui donna l'exacte distance à laquelle il prétendait justement, d'un bout de la piste à l'autre. Le toro galopait, et c'était un vrai plaisir. Mais dans la muleta, il garda la tête haute, et ne se départit jamais d'un intérêt inquiétant pour le torero.
Une corrida de Miura est une des choses les plus compliquées à raconter. Car le comportement du toro, de chaque toro, au delà des caractéristiques générales que l'on connait et sauf exception, peut changer à chaque pas, à chaque coup de tête. Et la bataille qui s'ouvre se livre pied à pied, mètre à mètre, comme si le sable de la Maestranza était rayé de tranchées qu'il fallait prendre et défendre coup après coup. A chaque torero sa guerre, sa stratégie, sa tactique. Pepe Moral réussit sur la gauche quelques séries franches, presque tranquilles. Presque. L'oreille qui le récompensa était peut-être exagérée, mais personne ne la protesta, et c'est un signe.
On compta sur le troisième, qui galopait franchement et semblait vouloir mettre la tête, mais il s'éteint brusquement à la troisième série. Et Escribano ne retrouva pas l'interrupteur.
Peut-être que la différence avec Pepe Moral vient du fait que ce dernier toréé les Miuras comme s'il ignorait que c'étaient des Miuras. Sans prévention particulière sur les attendus et les topiques de la légende. Du coup, lorsqu'il tombe, comme avec le quatrième exemplaire de l'après-midi, sur un toro qui se laisse - il y en a toujours un dans la bande, un voyou qui est prêt, pour peu qu'on lui paye un coup, à vous chanter des romances - la quine est bonne...
Le cinquième bis fit tourner le ciel et les toreros en bourrique. On vit même, au milieu d'une faena impossible - pas de mouvement, pas de vol - quelques grêlons rebondir sur les parapluies au milieu des gouttes. Et après l'estocade, le ciel s'ouvrit sur un éclair majuscule et un grondement de tonnerre venu des entrailles. Un concert pour un adieu.
En résumé, il s'est confirmé que c'était une très bonne idée de donner à des jeunes toreros le soin de combattre un tel fer. On sort ainsi du train-train habituel de ce genre de corridas, et c'est bien agréable.

Pepe Moral

Pepe Moral

Dernière corrida de la Feria d'avril. Sept toros de Miura pour :
Manuel Escribano, violette du Soleil d'or et or, salut au tiers, silence et salut au tiers.
Pepe Moral, vert d'algue profonde et blanc, une oreille, une oreille et salut.

 

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AU SECOURS !...

L'ancien Mercado de la carne est en travaux depuis un an et demi. Quand on longe à pieds la façade de derrière, qui donne sur l'avenue, on aperçoit à travers les grandes baies vitrées encore recouvertes de plastiques de protection, deux piscines vides qui seront l'attraction principale du club de sport qui se fomente par ici. A une vingtaine de mètres, le restaurant Tradevo de Mar (Calle Juan de Mata Carriazo, 6) propose comme son nom l'indique toutes sortes de délices de la mer traditionnels "revisités" par des cuisiniers pleins d'idées. Comme une bonne Feria ne se finit ni sans Miura ni sans morue, nous préconiserons le Lomo de bacalao gratinado con alioli, sobre una salsa de tomate rústica y casera, y salteado de ajetes. Olé y olé !

 

Demain, plus de Feria, plus de corridas. On va se perdre dans tous ces livres qu'on a délaissé pendant deux semaines. Ils nous attendent. Il n'y a pas de plus grands voyages.

A bientôt