Dimanche 28 avril. 18h28, arènes de la Maestranza à Séville.
Je suis assis dans le palco de presse, file 2 place n°9. Dans deux minutes, le verrou de la porte de bois du patio de caballo va claquer et résonner dans toute l'arène. La porte s'ouvrira sur le premier paseo de cette feria d'avril 2019. Il fait un temps à aller à la plage, mais on n'échangerait pas ce sable-là, à nos pieds, ocre et rayé de rouge, pour celui de Matalascañas ou Chipiona, plein de jolies filles, d'huile solaire et de beignets.
Cette première corrida - celle de dimanche dernier, qui ouvrait traditionnellement la saison, est déjà bien loin dans les esprits - est un peu comme suspendue en l'air dans le calendrier, en attendant celle de mercredi qui ouvrira véritablement le cycle, ininterrompu jusqu'aux Miuras du dimanche 12.
Les toros de la Palmosilla sont eux aussi, suspendus. Entre faiblesse et douceur, noblesse et imbécilité. Ils sont bien présentés, superbes, mais ils trébuchent, comme ces mannequins sur les podiums de mode qui, parfois, s'emmêlent les talons hauts.
Alors on râle, et on patiente, jusqu'au suivant, qui fait illusion tant qu'il peut, c'est à dire pas très longtemps. Ainsi le troisième, il s'appelait Poema, qui ne dura qu'une courte strophe : changé après la pique. Et le cinquième, Alboroto, incapable de trimbaler ses 607 kilos. Pierre Doris au départ d'un 110 mètres haies. C'est même pas les haies, qui posent problème, juste les 110 mètres !
Luis Bolivar est de plus en plus beau : ses cheveux argentés ajoutent une lumière à son teint et son visage indiens. Le colombien est allé attendre son second toro a porta gayola, dans une indifférence glacée, mais il a réussi, dans les longues séries bien templées de son début de faena, à réveiller la Maestranza. La musique put étrenner le nouveau paso doble - Reverte, on avait bien failli repartir avec les partitions intactes, encore sous cellophane... Estocade presque foudroyante a recibir. Mais la Présidente, Anabel Moreno, n'a pas marché dans le truc.
Le mexicain Luis David Adame est un bon torero. Comme on en a vu trois mille. Et ses toros ne lui laissèrent aucune opportunité. Mais la route est longue, et on ne sait jamais.
Rafael Serna, lui, est sévillan. C'est le fils d'un chanteur et poète du même nom, mort cet hiver, et à qui sa ville a rendu un hommage spectaculaire. Au troisième toro, son fils est allé lui dédier sa faena, au centre de la piste, la montera et les yeux levés vers le ciel. Émouvant. Même si le geste, le moment et l'endroit étaient annoncés dans le programme distribué à l'entrée des arènes. "En el tercer toro de la tarde, su matador se vaya a la boca de riego para brindarle al cielo." La tauromachie a aussi comme fonction de scénariser la vie et la mort. Et de le faire savoir. Mais à ce point... A son second toro, il tira quelques séries qui permirent à la bande du maestro Tereja hijo de faire retentir la seconde création de l'après-midi, un morceau justement intitulé "Rafael Serna", et composé à la mémoire du regretté père et artiste. Ça aussi, c'était prévu.
Séville est aussi cette arène pour enfants à la cinquantaine gominée, fiers d'avoir mis un paso-doble taurin comme sonnerie à leur téléphone portable, et ravis de le faire savoir à tout un tendido. Mais sur les gradins, aujourd'hui, la consultation frénétique des écrans avait un tout autre sens : les élections générales décidaient, ce soir, de l'avenir immédiat du pays. Apparemment, l'Espagne n'est pas aussi perdue qu'on avait bien voulu le laisser entendre.
Quoi qu'il en soit, comme disait l'autre, la feria a commencé. Nous, on est là. Et le Pape est à Rome...
Première corrida de la feria de Séville (seconde de l'abonnement)
Demie entrée
Huit toros : sept de La Palmosilla (le troisième changé pour un animal du même fer) et un de Hermanos Sampedro (à la place du cinquième)
Luis Bolivar, bleu ciel et or, silence et vuelta après pétition majoritaire non satisfaite.
Luis David Adame, marine et or, silence et saluts
Rafael Serna, coquille d'oeuf pâle et or, ovation et oreille sévillane et posthume.
Sinon : on étrenne, depuis une semaine, la joie enfantine de la découverte d'un nouveau quartier. Entre Miraflores et Leon XIII. On expérimente les bars, les boutiques de chapeaux et les poissons frits à emporter. Le quartier est assez pauvre, organisé autour du dispensaire de la Croix Rouge. On prend son petit déjeuner au milieu des voisins, des infirmières en fin de service et des patients de jour, cabossés et mélancoliques, les yeux perdus dans des radios ou des ordonnances illisibles. Ça change des japonais. En bien.