Hommage soit d'abord rendu, tout simplement, à ce couple de japonais, arrivés hier soir aux arènes en tenue traditionnelle de leur pays. Elle dans un kimono rose, lui dans un grand montsuki et un hakama de soie rouge foncé. C'était sûrement pour eux la façon la plus naturelle de rendre hommage aux traditions flamencas qu'ils voyaient naître partout dans la ville. Merci à eux de nous rappeler que la naïve et sincère adhésion à la joie des autres peut terrasser tous les ridicules.
Passer ensuite une bonne partie de sa matinée à tourner en carré dans le petit village de Pilas, sur la route du Rocio ! En carré, parce que le plan urbain est ici réduit au plus simple, comme à Los Angeles : des rues perpendiculaires, régulièrement croisées par d'autres, toutes sur le même modèle. Des maisons à un étage, semblables les unes aux autres. Des échoppes minuscules, très peu signalées. Vous voilà donc lancé à la recherche d'un atelier de céramique, el taller de la señora Chari Bolaños. Vous n'avez, pour vous aider, qu'un GPS tout à fait dépassé, dont le satellite de référence s'est visiblement perdu au milieu d'un orage magnétique de forte intensité. Et quelques rares passants...
Dans n'importe quel endroit du monde, quand vous demandez votre chemin, vous trouvez toujours un type pour vous répondre que "c'est pas ici". Evidemment, si c'était ici, on te demanderait pas !... La suivante est une dame impeccablement tirée à cinq épingles (on ne sait jamais), ravie de rendre service, mais qui ignore totalement où se trouve la rue Lope de Vega. Mais qui a envie de parler. "Voyez, je suis d'ici, mais là j'ignore tout à fait ou ça se trouve. Par contre, si vous prenez cette petite rue, là-haut, juste derrière, c'est la Mairie. Et là, je pense que quelqu'un pourra vous dire... Mais non, qu'est-ce que vous faites ? Restez garé ici, allez-y à pied, c'est juste là !..."
Le troisième est très aimable, juché sur un scooter, et il se lance dans des explications interminables. Au bout du quarantième item (à gauche, tout droit, à droite, tout de suite à gauche...), on décroche poliment et on repart en sens inverse. A l'heure qu'il est, le type doit encore nous poursuivre de ses conseils. Le quatrième passant sort d'un portail métallique, un faisceau de laisses à la main au bout desquelles frétillent cinq galgos corredores, comme on dit dans le Quichotte, cinq lévriers bronze rayés de noir, taillés comme un bouquet de mannequins anorexiques. "La rue Lope de Vega ?" Le type se gratte très longuement la tête en repoussant sa casquette. Lope de Vega ? S'il me dit que c'est pas ici, j'écrase les chiens ! Mais non. Il se penche vers l'intérieur de la voiture, nous considère longuement, et lâche : "Vous venez d'où ?..." On lui dit qu'on ne voit pas très bien en quoi ça pourrait l'aider, mais rien n'y fait. Lope de Vega ? C'est trop compliqué à expliquer. On refait demi tour : la rue est juste là, à cent mètres.
On a fini par trouver l'atelier. Comme prévu, c'était pas terrible...
C'était jour de fête aujourd'hui à Séville. Congé donné par les autorités pour motif de feria. Cartel de télé réalité avec un cheval, une vedette et un people. On se demande qui va voir ça. Tout le monde. Le cheval et le people sont aussi toreros.
Diego Ventura est un cavalier extraordinaire. Ses exercices de temple tout autour de l'arène, à dix centimètres du toro, sa façon de toréer en creusant le flanc de ses chevaux comme une muleta, juste sous les cornes, tout ça vous met une arène debout. Mais on ne fera pas d'avantage semblant de s'y connaître.
Rien n'arrête un Juli décidé. Pas même le vent (il change de muleta pour une autre plus lourde). Pas même un toro à charge intermittente. Mais ça piétine beaucoup, forcément, et ça n'atteint pas les étonnantes sphères. Quant à ses estocades, elles ressemblent toujours autant à des dunkies des Harlem Globetrotters...
Cayetano resta longtemps sur le voyage d'un bon toro qui trottait sans s'arrêter, s'engouffrant dans les bourrasques de vent avant de se défaire. Mais on attend toujours la faena. Grand coup d'épée. Vaine pétition télévisuelle.
Il débuta sa faena au sixième assis sur l'estribo, puis par de longues statuaires à genoux. Le toro était d'une extrême noblesse qui lui faisait parfois piquer de la corne dans le sable. Mais Cayetano crut qu'en restant en dehors de l'affaire, ça suffirait aux siennes. Erreur. Les toros se méritent, comme le statut de vedette.
Neuvième corrida de la feria de Séville (dixième de l'abonnement)
Arène pleine
25 degrés
Deux toros de Los Espartales et quatre de Domingo Hernández pour :
Diego Ventura : chevaux de différentes couleurs ; saluts et saluts.
Julián López El Juli : Podemos et or, passements blancs ; silence et silence.
Cayetano Ordoñez : vert irlandais et or, passements blancs ; vuelta et vuelta
Sinon : demain jeudi, dans la calle feria, derrière la Campana, se tiendra le Jueves, le traditionnel et hebdomadaire marché aux puces du centre ville. Mais peut-on encore parler de tradition ? La Mairie de Séville, sensible aux plaintes réitérées des riverains, a entrepris de limiter les déballages sur ce que les sévillans appellent aussi "le marché des voleurs"... Les dizaines de stands de livres à un euro, de cartes postales du Bétis, de vieux téléphones portables, de grilles-pain cacochymes, de robes flamencas, de presses-papiers en plâtre et d'affiches de corrida ne peuvent plus s'installer n'importe où, débordant des trottoirs et des places, jusqu'à rendre toute circulation impossible. Le Jueves est désormais encadré et surveillé. Bienvenue en Europe.
Dans le quartier du jueves, on recommande, sur la charmante place Daoíz, le restaurant, sous le passage de Los Azahares, le Santa Marta, dont la terrasse lézarde sous les arbres jusqu'à la vitrine du marchand de farces et attrapes. Tout en cuisine est classique. Mais on préfère les revueltos de patates, gambas et jambon, exécutés dans les règles, et le poulet frit à l'ail, croustillant et tendre.
Jean-Michel Mariou