Despojado

Journal de Séville ; lundi 3 avril

 

Bien
Appelons ça le miracle de l’aube. On a laissé la rue vers une heure du matin, pleine d’une foule attentive et joyeuse, affamée et grande consommatrice de boissons et de confiseries. A une heure du matin, ici, les enfants sont - hélas – souvent en pleine forme… Le sol est jonché de carapaces de pipas et de cacahouètes, de bouteilles d’eau vides écrasées, de mouchoirs en papier, de mégots et d’emballages vides.
Le lendemain matin, vers neuf heures, on va prendre sa média tostada en terrasse, et on sort dans une autre ville, rutilante, apprêtée comme un communiant. Une partie de la nuit, les commandos de Lipasam ont récuré les trottoirs et les chaussées. La nouveauté de cette année : une brigade spéciale qui traite les rues dans lesquelles les processions ne repasseront pas de la semaine, en décollant sans attendre toutes les traces de cire accumulées.
C’est un des problèmes majeurs de la ville. Au final, des tonnes de cire déposées au passage des cierges. C’est ce qui provoque, dans les quinze jours qui suivent chaque Semaine Sainte, cet étrange chuintement aigu que réveillent les voitures lorsqu’elles tournent…
Bref la ville est comme un sou neuf. Aucune blague ne sera tolérée sur les poubelles parisiennes. On applaudit ceux qui le méritent, mais pas uniquement quand ça nous arrange.
Pas bien
On se faisait une joie d’accompagner à la nuit tombée le retour dans son église du Dépouillé, le Jesús Despojado. Le paso représente la scène où la BRAV-M romaine de l’époque frappe et déshabille de force le Christ en jetant ses habits à terre. Il est le plus souvent représenté nu jusqu’à la ceinture. Cette année, où l’on étrenne un nouveau manteau rouge offert par les musiciens de l’hermandad, il va, la seule épaule douloureuse découverte. Sa tête désolée a été sculptée en 1939 par l’artiste Antonio Perea Sánchez dans des circonstances un peu particulières : il était en prison à cause de ses sympathies républicaines…
Finalement, un peu avant vingt-deux heures, lorsqu’on s’est présenté dans les environs de la petite place de Molviedro, tout le quartier était étouffé par une foule dense. Impossible de passer. On a bien vu les pénitents, de loin, qui semaient leur cire soigneusement sur le passage, mais de Christ ou de Vierge nous n’avons eu la patience d’attendre pour ne pas les voir.
Enfant dort
Bien
Alors, à minuit, on s’est profondément consolé avec le retour en son temple du Christ de l’Amargura. La bande de cornettes et tambours du Santissimo Cristo de las Tres Caïdas le fit longuement danser sur place devant l’église, comme un piétinement sans direction. Et brusquement, sans que personne ne s’y attende, c’est la place toute entière, plongée dans l’obscurité, qui s’est mise à pivoter très lentement autour de lui. Les arbres, les maisons, les lampadaires éteints, chaque chose, centimètre par centimètre, s’est mise à tourner très lentement dans le chant désespéré d’une trompette cristalline, seule, à peine appelée par un maigre tambour, jusqu’à ce que le paso ait accompli un demi-tour, et qu’il puisse glisser à reculons dans l’église pour y retrouver sa place. Magie.
Pas bien
L’énorme paquebot de croisière – un immeuble de sept étages ! – qui trônait encore avant-hier au muelle de las Délicias, en face du pont des Remedios.
La croisière entre en ville.
Il faut dire que cette Semaine Sainte s’annonce comme celle de tous les records, qui devrait battre très largement, en fréquentation, la dernière de référence, celle de 2019. D’ores et déjà, on annonce attendre jusqu’à samedi prochain près de 1800 avions à l’aéroport de Séville. Alors que du côté de Malaga, où les charters sont au paradis, on en attend 5000, dont 4000 en provenance de l’étranger !
Nous sommes très jeunes...
Bien
Cet humble graffiti, derrière Alfalfa, sur un mur défraîchi : « Nous sommes très jeunes pour être si tristes… »
Pas bien
Cette caméra montée sur câble, qui Place de la Mairie, prend des vues aériennes des processions, en s’approchant au plus près des Vierges et des Christ, pour offrir des images toujours plus originales (il commençait pas à être un peu chauve, ce Jésus, à 33 ans ?...)
Son câble s’est emmêlé, hier après-midi, dans les ramures du grand palmier du paso de la Borriquita, obligeant les costaleros à manœuvrer en avant et en arrière pour se dégager, comme une vulgaire Dacia Break qui peinerait à faire un créneau…
Mais ça aurait pu être pire. Comme à Malaga, où le palio de la Vierge du Rocio a pris feu hier après-midi dans une petite rue !...
Virgen quema
Menu del dia
Tout le monde sait ça : dans la morue à la tomate, le plus important, c’est la tomate. Derrière le Palais de la Duchesse d’Albe, le petit bar de Las Dueñas, qui fait le coin entre Gerona et Dueñas, propose un bacalao con tomate dont la sauce mérite le détour. Le Palais de la Duchesse, dont la visite payante ne présente aucun type d’intérêt, est pourtant le lieu de naissance en 1875 du grand poète Antonio Machado (« Mi infancia son recuerdos de un patio de Sevilla y un huerto claro donde madura el limonero... Esta luz de Sevilla... Es el palacio donde nací, con su rumor de fuente. ») Mais la visite préfère insister sur l’histoire de la famille d’Albe, et singulièrement celle de Cayetana Fitz-James Stuart, la dernière du nom, décédée entre ces murs en 2014, surtout connue pour avoir popularisé en Espagne la chirurgie esthétique ratée.
Pour revenir au bar, il reste un lieu de tapeo recommandable, pour la minuscule collation de fin de matinée. On privilégiera, en plus du bacalao, les tapas de rognons au Jerez ou les albondigas maison.
Bar Duenas