Librairie Terceros

Journal de Séville, mercredi 5 avril

Bien

Toujours aussi bien, la librairie de Los Terceros, sur la place du même nom. Une librairie de livres d’occasion tenue depuis des années par un vrai libraire, et où l’on trouve des rayons consacrés aux toros, au flamenco et à l’histoire de Séville tout à fait recommandables. J’y ai déniché ce matin Secretos del mundo de los toros, publié en 1973 par Nicolas Salas, et dédicacé de la main de l’auteur à ses amis « Ana et Miguel », qui ont à ce jour sûrement quitté ce monde, et dont les héritiers n’ont pas cru utile de conserver la mémoire de leurs rêves les plus précieux. Mais il ne faut pas trop non plus s’interroger sur ce que deviendront nos bibliothèques. La vie appartient aux vivants. Et il faut bien alimenter les bouquinistes.

Salas fut un journaliste très célèbre à Séville, où il a même une rue à son nom, du côté de Triana. Séville, sa culture et ses coutumes auxquelles il a consacré plusieurs livres. J’apprends dans celui-ci (p.342) qu’il y eut aussi dans l’histoire des femmes picadors. Des picadores ? Le 11 décembre 1836, par exemple, dans les arènes de Madrid, Magdalena Garcia, de Saragosse, et Mariana Duro, de Valence, participent à un concours destiné à les départager devant les toros de l’après-midi. La chronique n’a pas retenu qui l’a emporté, mais un an plus tard, le jour de Noël 1837, Magdalena Garcia revient en piste, montée sur le même cheval que le picador Seguidillas avec lequel elle se tient dos à dos. Une fantaisie d’époque, où l’on ne savait pas encore que devant un toro, tout n’est pas permis. Comme disait Rafael el Gallo en d’autres occasions, « Hay gente para todo !... »

Pour revenir à la librairie des Terceros, c’est bien dommage qu’elle ne soit pas plutôt cise derrière la Place de la Gavidia, dans la charmante rue de la Vierge des Bons Livres… (« Hay Virgen para todo ! »)

Los Buenos Libros

Bien bien

Dans la rue Doña Maria Coronel, un peu avant minuit, on croise des gens qui viennent d’une autre procession, d’un autre quartier, qui vont là d’où l’on vient. On se demande alors toujours qui a raison, eux ou nous, et qu’est-ce qu’on a bien pu rater… Un père tient sa petite fille par la main. Elle a dix ans, pas plus, elle est fatiguée, on voit qu’il lui tarde de retrouver sa chambre et son lit. Quand je passe à leur hauteur, le père est en train de lui parler très doucement, il lui récite comme un poème : « Ojos verdes, verdes como l’albahaca, como el trigo verde… » La suite se perd lorsqu’ils s’éloignent. Je reste avec ces mots, qui m’obsèdent jusqu’à la maison. Je pense à Llorca, bien sûr, Verde, que te quiero verde, mais le reste ne me dit rien. Alors en rentrant, je saute sur mon ordinateur. Je tape ces mots, et la letra d’une chanson de Concha Piquer, la tonadillera scandaleuse, s’inscrit sur la page :

Pa mi no hay soles, luseros ni luna

Pour moi, il n’y a ni soleils, ni étoiles ni lune

No hay mas que unos ojos que mi via son

Il n’y a rien que des yeux qui sont toute ma vie

Ojos verdes, verdes como l’albahaca, como el trigo verde

Yeux verts, verts comme le basilic, comme le blé vert,

Y el verde, verde limon.

Et le vert, c’est un vert citron…

La chanson, qui est d’une grande sensualité, commence par ce couplet d’enfer :

« Hé, gamine, tu me prêtes une chandelle ? Moi j’ai répondu, mon gars, viens la chercher sur mes lèvres, je te donnerai du feu… »

Il y a parfois des pères qui savent élever leur fille…

Concha Piquer

Bien

Quelques images entraperçues dans la soirée du mardi saint.

La Vierge de San Benito qui passe sous les parasols d’Encarnacion, icône et contre-icône violemment confrontées. La Vierge paraît minuscule sous l’énorme structure géométrique. Au même moment, mon Bénito à moi m’appelle au téléphone. Jean-Paul Capitani, avec lequel il a travaillé près de quinze ans quotidiennement à Actes-Sud, vient de se tuer en tombant de vélo près de la mairie d’Arles. J’ignore s’il y a des morts plus sottes que d’autres, mais après une vie comme la sienne, on devrait pouvoir choisir un truc plus littéraire.

Vierge San Benito Encarnacion

Pendant ce temps, la musique de la Bande Municipale de la Puebla del Rio passe devant moi. Au dernier rang, un clarinettiste de deux mètres de haut dépasse décidément. On a dû le placer là pour ne pas qu’en plein cœur du groupe il sorte comme un poireau sauvage dans un gazon anglais. Il a une belle tête, des lunettes de soleil très chic, il joue doucement, un léger sourire aux lèvres, mais non, décidément, il est beaucoup trop grand.

A la nuit noire, on retrouve la procession des cierges et des capirotes blancs le long de la muraille couverte de lierre de l’Alcazar, dans les jardins de Murillo. L’air est surchargé de jasmin et d’encens, et la Vierge de la Candelaria, sur le chemin de son église, se met à danser comme une gamine qui rentre chez elle juste avant l’heure que sa mère lui a fixé. Elle a juré. Elle est là, tout près de la maison, elle a laissé ses copines en pleine fête mais elle s’en fout, elle est heureuse, elle danse…

Capirotes blancs cierges

Candelaria

Pas bien

Faudra-t-il invoquer le réchauffement climatique ? C’est le troisième incendie de Vierge que l’on déplore depuis le début du cycle !

Vendredi dernier, lors de la présentation du paso dans l’église de Chiclana, la Vierge des Desconsuelos de la confrérie des Affligés (!) a souffert d’un début d’incendie qui a gravement affecté son visage et détruit sa main droite. Immédiatement dépêché sur les lieux, Francisco de Berlanga, un restaurateur d’œuvres d’art sévillan très connu, s’est mis au travail, jour et nuit, pour réparer la statue. En trois jours, il a réussi à refaire le visage et la main, et la Vierge a pu sortir hier, comme prévu, pour sa traditionnelle procession du mardi saint.

A Almaden de la Plata, près de Séville, c’est un court-circuit qui est à l’origine du feu qui a dévoré vers minuit dans la nuit de dimanche à lundi du retable de l’église et de la Vierge de la Grâce, qui attendait là tranquillement des nouvelles de son fils. Dégâts très importants.

Quant à la Vierge du Rocio de Velez-Malaga, c’est un coup de vent qui a rabattu un cierge sur son manteau, lors de la procession du dimanche des Rameaux. Trois membres de l’hermandad ont escaladé le paso et ont pu éteindre le feu qui se propageait très vite sur les voiles et les broderies qui recouvrent la statue, au prix, pour certains, de brûlures sérieuses.

A la télévision, un spécialiste – on en a eu pour des virus qui n’existaient pas encore, pourquoi n’en aurait-on pas pour les Vierges qui se consument ? – est venu longuement expliquer que chaque confrérie a conscience de ces risques, qu’on ne le sait pas mais qu’il y a désormais, dans toutes les confréries de Séville un extincteur ou deux cachés sous chacun des pasos (et pendant qu’il parle, des images d’illustration nous montrent, dissimulés sous le manteau d’une vierge, puis au devant, caché sous la structure de bois, deux extincteurs parfaitement homologués, rouge-extincteur, avec leur tuyau noir et leur entonnoir à disperser la mousse...) Le professeur en incendie de Vierges tient aussi à préciser que si certains prenaient plus de soin dans le choix des cires (et on voit se profiler une belle enquête sur les cierges bon marché que les intendants des hermandades choisissent…) il y aurait moins d’accidents. Les voies du Seigneur et de la combustion sont décidément impénétrables.

 

Menú del día

C’est un coin pour midi, pour le petit en-cas. Pas pour deux heures plus tard, lorsque la terrasse sera bondée et que la carte ne proposera que des rations complètes. Le Colmaito est au milieu de la minuscule rue piétonne Francisco Lopez Borda, qui donne dans la calle Arfe, sa terrasse est ombragée et la salle tranquille. On est ici derrière les arènes, tout près de l’arc du Postigo. On demandera la carte des tapas, et on choisira les rabas fritos, de délicieuses lanières de calamars frits. Le poisson est ferme, et la panure croquante impeccablement réalisée. Pas gras, et accompagné d’une petite sauce à l’ail très juste. On est pas bien, là ?...