peligro de caida

Journal de Séville, samedi 8 avril

Les services d'urgence de la ville de Séville ont lancé ce matin une alerte, avec laquelle ils mettent en garde contre des dangers élevés de chutes : à cause des fortes températures attendues aujourd'hui et demain (32 degrés), la cire déposée sur les pavés au passage des processions risque de fondre et de rendre les pavés très glissants... Bonjour, cols du fémur et olécranes, doubles planchers tibiaux, et tête de radius toi-même !

 

Bien

C’était la grande inquiétude du jour, la prise de risque maximale de cette Semaine Sainte 2023. Pour célébrer le 775è anniversaire de la restauration du culte chrétien à Séville, la confrérie du Santo Entierro a invité les quatorze autres hermandades les plus anciennes à la rejoindre dans une procession hors norme. C’est la première fois depuis 1248 que l’on célèbre ainsi à Séville, pendant la Semaine Sainte, la Reconquista, qui chassa les Arabes et installa Fernando III sur le trône de Castille.

Certes, chaque année, les confréries envoient des représentants dans le défilé du Santo Entierro. Mais c’est une poignée de pénitents, deux oriflammes, un bout de musique ou une demie centurie de soldats romains… Là, il s’agit de tout autre chose : d’un paso par hermandad, un Christ ou une Vierge, de bandes entières de musique, de dizaines de pénitents. Un casse-tête d’organisation. Jugez plutôt : les quinze confréries partent chacune de leur église dans un des quartiers du centre de Séville, au moment fixé par la Junta. Car elles doivent se succéder, dans l’ordre prévu, place de la Campana (rendez-vous devant le McDo…) pour entrer dans la route officielle vers la cathédrale. Chaque sept minutes, une Hermandad différente doit se présenter à l’entrée. Si quelqu’un se tord une cheville, qu’un chien traverse ou qu’une saeta, lancée d’un balcon, dure deux minutes de trop, la belle mécanique peut se détraquer, et terminer en embouteillage monstre. Une telle concentration ne s’est encore jamais produite, et c’est un défi d’organisation à côté duquel la cérémonie d’ouverture des Jeux l’an prochain sur la Seine ressemble à une aimable réunion de famille.

Dans le journal, une double page, à grand renfort de croquis, de cartes et d’illustrations diverses, peinait à répondre aux questions que pose un tel défi. Comme par exemple, celle lancinante et angoissée que les uns et les autres se posaient dans la rue : « Mais où il faut se mettre pour tout voir ? » Mauvaise question. Si on veut tout voir, on ne voit rien. Allez donc plutôt « vous chercher la vie » à droite et à gauche, et vous croiserez ce que vous deviez croiser…

Ainsi fut fait. Et même si on a pas vu le Stade ("un festival de jeu" me dit Ben dans un sms comblé), la journée fut magnifique.

Le premier paso, le mystère de la prière dans le jardin, de l'hermandad de Montesion, a enquillé la rue Sierpes à 18h36, avec un retard de cinq minutes sur l'horaire prévu. Rien de grave. Car comme les meilleurs cheminots, il a rattrapé son retard. Le Baiser de Judas à sa suite, comme le Couronnement d'épines et toutes les autres images Panini grandeur nature qui se sont ensuite succédées. La mécanique a parfaitement fonctionné. A l'heure où nous lançons les rotatives, c'est un succès complet. Félicitations à toutes les équipes...

Journal Santo Ent grande

 

Pas bien
Première déception de la semaine. Traditionnellement, on attend la Santa Mortaja à une heure du matin dans la calle Doña Maria Coronel. Tous les lampadaires de la rue sont éteints et, dans le noir, les pénitents glissent en silence comme des ombres. La Mortaja est une hermandad de silence. Pas de musiques brillantes, seul un hautbois et un basson distillent avec grande parcimonie de rares sombres et discrètes plaintes. Et un cœur d'enfants et d'adolescents laisse ça et là dans l'ombre quelques motets précieux.
Hélas, cette nuit, pour des raisons que l'on imagine tristement de sécurité, les lampadaires sont restés allumés, et les fantômes avaient brusquement mal aux pieds, donnaient des signes d'impatience devant l'approche du temple, les corps plus ou moins servis par l'habit de pénitent mauve et noir. Pire, on voyait parfaitement ses voisins qui, comble de déception, nous ressemblaient. Le joueur de hautbois avait l'air à bout de force, et on s'aperçut que le basson était en réalité une clarinette. Quand au chœur d'enfants, bien sûr, il était dirigé à grands gestes ronds par un homme inquiétant à la tête de sacristain pervers, qui marchait à reculons.
Merci de re-éteindre la lumière, que l'on se remette à rêver…

Mortaja

 

Toujours bien

Une des grandes traditions de la Semaine Sainte sévillane consiste pour les enfants à se fabriquer une boule de cire – la plus grande possible, bien sûr – en recueillant celle des cierges des pénitents lors de leurs très nombreuses stations immobiles. On démarre avec une toute petite boule de papier d’aluminium que l’on présente sous les gouttes d’un premier cierge, en prenant garde de ne pas se brûler, et de l’un à l’autre, chaque jour en patience, on fait sa pelote. Bien sûr, l’histoire ne dit pas ce qu’on en fait ensuite, combien de temps les mères supportent cet attrape poussière qui trône comme un trophée dans la chambre de leur enfant. Ni si certains les gardent pendant des années, dans des boîtes à chaussures, et les ressortent un jour ému d’un grenier, au lendemain de la naissance de leur premier petit-enfant…

Boule cire

 

Pas bien
Le matin, je prends le plus souvent mes tartines dans une pâtisserie française, La crème de la crème, dont j'ai déjà parlé ici. C'est là que l'on vous sert, comble de la civilisation, la tostada de pain de pueblo à l'huile d'olive et au jambon avec un petit brin de thym frais. C’est une adresse connue des gourmets du quartier, qui viennent y trouver des pâtisseries fines sans commune mesure avec les lourdes pâtes crémeuses sans grâce que, le plus souvent, on consomme par ici. Mais l’enseigne fonctionne aussi, hélas, comme un attrape-touriste, français de préférence, qui trouve ici de quoi se rassurer : après tout, ça fait au moins deux jours qu’il a quitté Paris, et ça fait du bien de savoir que l’on est pas tout à fait perdu. Si le patron, absent de cette boutique, est à coup sûr français, les serveurs sont tous sévillans, et restent insensibles aux signes de connivence très appuyés que le français de passage – qui bien sûr au bout de trois minutes se sent parfaitement chez lui – leur adresse avec insistance. Comme ce grand dadais, ce matin, qui en bermuda et claquette, sortit en lâchant un sonore « Allez, salut ! » que l’on entendit jusqu’à Dos Hermanas.

Tartine

 

Pas bien

C’est une chose étrange : demain dimanche, Juan Leal toréé en France, à Arles, et je n’y serai pas. Je suis ici, chez lui, à Séville, pour terminer cette Semaine particulière… On me dira.

 

Menú del día

On a dîné sur la place Jerónimo de Córdoba, dans le quartier d’Escuelas Pias, sur la terrasse du restaurant Catalina, une excellente adresse où nous a mené le peintre Curro González. Là, en attendant l’heure de la Mortaja, on a un peu refait le monde de l’art contemporain. Disons que comme son ami Hervé Di Rosa était là, la conversation n’a pas eu le temps de languir. Pour ce qui est des assiettes, on recommandera le ceviche de langoustines, un sublime risotto de champignons et le Gua Bao de calamars frits… Bonne carte de vins, nuit douce.

Amen