Je sais bien que nous sommes ici en période électorale, mais cette corrida du 16 avril ressemblait furieusement à une fin de liste... En France, quand la télévision s'intéresse à une circonscription clé dans laquelle se présente quelqu'un de connu, ministre où personnalité, le reportage se centre sur les deux ou trois personnes dont on pense qu'elles vont se disputer la finale. Puis, dans les dernières trente secondes, on cite rapidement la liste des huit ou neuf autres candidats, ces obscurs que les journalistes vont ignorer tout le temps de la campagne.
D'une certaine manière, c'est ce qui s'est passé cet après-midi à Séville pour la seconde corrida de l'abonnement.
Au paseo, on retrouvait six jeunes toreros andalous - cinq sévillans qui ont pris leur alternative dans ces arènes de la Maestranza, et un gaditano, José Ruiz Muñoz, qui la prit à Valence - six anciennes promesses, de ceux qui pourraient éventuellement prétendre à intégrer un des cartels de la féria qui débute ce mercredi, si les cartels étaient un peu moins convenus.
On allait donc voir, en une revue rapide, les petits candidats, dans une session de rattrapage à une seule cartouche, devant une arène remplie aux deux-tiers (mais on en verra sûrement d'autres).
Le problème des petits candidats, en général, c'est qu'ils ont peu d'expérience. Ceux-là comme les autres. Au cours de la saison dernière, un seul de ces impétrants a toréé plus de cinq corridas... La société sévillane, toujours prête à s'admirer et à célébrer ce qui ne risque pas de la remettre en question, fait peu de cadeaux à ses enfants. C'est ainsi. On s'en souviendra quand on sera Sévillan...
On avait réservé à ces jeunes gens un lot de toros de l'élevage de Fermin Bohorquez qui, depuis de très nombreuses années, ne sortent que dans les corridas à cheval... Mais ce n'est pas de ce côté-là qu'il faudra chercher des excuses, sauf pour le premier de l'après-midi, sans option aucune, qui échoua hélas dans la muleta prometteuse de Borja Jimenez. Les autres, à des niveaux divers, sortirent profitables.
Bien sûr évidemment on était là parce que, ouvrez les guillemets, on ne sait jamais. L'histoire de la tauromachie est pleine de ces triomphes par surprise qui ont lancé la carrière d'un torero qui s'apprêtait à raccrocher les trastos. La tranchée des humbles, donc.
Au final, peu de surprises. Ce soir, une fois les effets de la douche évaporés, chacun parlera de ce qu'il a fait de bien. Car tous eurent leurs détails. Puis chacun évoquera la malchance, le toro inapproprié, la mesure du public. À une autre table, pas loin, des aficionados parleront, eux, de manque d'expérience, d'engagements trop retenus, d'erreurs de casting. Pour les toreros, cette après-midi n'aura servi à rien, sauf à goûter, dans une des plus prestigieuses arènes du monde, le goût amer des après-midis qui ne servent à rien.
Mais voilà, le cinquième toro sortit...
Lentement, précieusement mais sans préciosité, José Ruiz Muñoz, à la cape comme à la muleta, installa en piste un autre temps, une lenteur d'une autre époque. Autre chose qu'une nostalgie. Un vrai parfum de Curro Romero - présent en barrera de gradas, dont il est le petit neveu, et à qui il dédia la mort du toro - dans ce corps lent, comme privé de recours, de feintes. Grande épée , pétition très majoritaire, mais le Président, à contre-courant de son opinion publique, sans majorité et sans débat, s'obstina à refuser l'oreille. A priori, le règlement, ce Conseil Constitutionnel taurin, est formel : si la demande est majoritaire, il est obligé d'accorder l'oreille. Mais en ce moment, les Présidents ont tendance à se penser plus raisonnables que la raison. Ça pourrait ne pas durer...
6 toros de Fermin Bohorquez, pour
Borja Jiménez, blanc et or, saluts.
Lama de Gongora, rouge de Bayonne et or, saluts.
Rafael Serna, rouge de Biarritz et or, saluts.
Angel Jiménez, cosse de vanille et or, saluts.
José Ruiz Munoz, crème de vanille et or, vuelta sonore et fêtée.
Juan P. Garcia "Calerito", chocolat 90% et or, saluts.
La corrida dura 2 heures et 23 minutes.
Grand soleil, 32 degrés, vent de levant gênant, pas en piste, mais dans les gradas hautes, où il rabattait les coques de pipas sur les chaussures.
Les photos sont de Maurice Behro