caracoles y cabrillas

Journal de Séville, mercredi 19 avril

Il faudrait inventer un mot… Comment appeler cette période si particulière qui se situe entre deux fêtes ? En Espagnol, ça n’a tout simplement pas de nom. Entre-fêtes n’existe pas… Pourtant, en castillan, on parle d’entre-guerres (entreguerras, que l’on peut aussi désigner comme interbellum) pour évoquer la période historique qui va de la fin de la première guerre mondiale jusqu’au début de la seconde – et l’on notera, non sans surprise, que la terrible guerre civile espagnole n’apparaît pas dans ce décompte… On parle aussi, à Séville, d’entre-prisons, cette petite rue Entrecarceles qui monte sur 65 mètres seulement de la Mairie vers Alfalfa, et qui menait de la prison Royale, située au début de la calle Sierpes, jusqu’à celle de la Real Audiencia. Dans la prison royale, la légende raconte que Cervantes, emprisonné après de mauvaises affaires, se mit à écrire le début du Quichotte. On ne peut pas dire que ce soit formellement impossible, vu les témoignages que les historiens ont rassemblé sur cette prison si peu hermétique, où l’on entrait et sortait jour et nuit, au milieu d’un bruyant commerce de trafics en tous genres, de visites d’amis solidaires ou de prostituées au labeur. Mais la légende, et les offices de tourisme, situent aussi le début de l’écriture de l’œuvre dans plusieurs autres villages de la Castille et de la Manche… Finalement, la prison fut détruite au XIXe siècle. Mais à quelques mètres de là, le bâtiment de l’autre, celle de l’Audience Royale, existe toujours. Et il est significatif de constater qu’aujourd’hui, les deux geôles ont été remplacées par le siège de deux des banques les plus importantes du pays, Cajasol et Caixabank. C’est bien connu, ces barreaux-là, invisibles, sont sûrement bien plus solides...

Bon, entre-prisons, entre-guerres, donc, mais pas d’entre-fêtes, dont le mot n’existe pas. Et pourtant...

En ville, les premières robes sévillanes font leur apparition…

En ville, les premières robes sévillanes font leur apparition…

Et pourtant, Séville est toute entière une ville d’entre-fêtes ! Des Rois Mages aux carnavals de février, de la Semaine Sainte à la Féria, du Corpus à la San Miguel, et jusqu’à l’Immaculée, Noël et le Jour de l’an, l’année se découpe en fêtes et en attentes d’icelles.

Depuis toutes ces années qu’on écrit sur Séville, on a parfois changé d’avis sur des détails. Mais pas sur un point essentiel, que l’on appellera le syndrome de l’île aux enfants. Séville est une ville dont les habitants sont des gosses. De sales gosses, parfois, mais des gosses qui, au fond, ne vivent que pour faire la fête et qui se régalent, toujours… Alors cette enfile d’avril, qui va des processions nocturnes et arrosées jusqu’aux spectaculaires démonstrations musicales de la Féria, c’est une des périodes que l’on préfère. Cette entre-fêtes là – oui, on a décidé que le féminin était plus juste – ce sont treize jours délicieux qui se traînent de la fin de la Semaine Sainte jusqu’au début de la féria. La ville chuinte sur ses pavés cirés, finit de ranger ses Vierges et ses Christs, s’adonne à des siestes méritées, et commence à se faire du souci : l’œillet, pour la féria, il faudra cette année le porter sur l’oreille, ou plutôt au dessus de la tête, centré dans les mèches strictement tirées ? Et les pois de la robe gitane ? Quelle grandeur ? Quelles couleurs ?

Dans la rue, on voit de plus en plus de femmes affairées qui passent vivement, portant haut une housse sur cintre dont dépassent les volants multicolores d'une robe flamenca. Le vent du levant qui mélange la chaleur de cet été précoce avec les odeurs de churros et de chocolat chaud fait frissonner les franges. Devant la terrasse du bar, une jeune mère passe, son bébé de six mois gazouille dans la poussette au milieu d'une petite chantilly de festons et dentelles. Elle se penche, lui sourit, et dit d’une voix de mère : « Et toi ? Voyons voir… après la discothèque, tu iras où toi, en sortant ?... » Puis elle s’éloigne, légère, mystérieuse…

A 18h30, nous voilà enfin aux arènes, pour la première corrida du cycle de Féria. En fait, la Féria commence samedi, mais pour les toros, c’est ce soir. A quoi bon chercher une logique ? Les enfants, quand ils jouent, ne s’embarrassent guère.

Juste avant cela, remonter depuis la Magdalena jusqu’aux arènes en compagnie de Zocato, sa jambe folle et sa canne. Rencontrer cinquante visages connus. Entendre cinquante fois l’histoire de la vache qui, en novembre dernier en Équateur, lui a double-fracturé le plancher tibial (ça y est, on peut raconter, l’assurance a tout réglé…) À chaque rencontre, la vache est plus haute, plus grosse. On sent l’émotion de Vincent qui, dans la solitude et les doutes de sa rééducation, s’était fixé ce rendez-vous comme objectif. Puis il monte en s’accrochant à la rampe le raide escalier de marbre jusqu’à la Tribune de presse des arènes (« Putain j’en ai rêvé de cet escalier… »), où tous les confrères espagnols lui tombent dans les bras. Le paseo est lumineux, brillant. Le pincement au cœur, c’est parce que lorsque tout ceci commence, on sait déjà quand ça finira…

1ère corrida de la Féria

Six Toros de Santiago Domecq pour

José Garrido, mastic et or, silence et chiches applaudissements

Alvaro Lorenzo, plomb et or, silence et une oreille

Alfonso Cadaval, feuille de vigne de Talairan et or, silence et silence

Alvaro Lorenzo (photo Maurice Behro)

Alvaro Lorenzo (photo Maurice Behro)

Alvaro Lorenzo (photos Maurice Behro)

S’il y en a qui savent inventer des mots, ce sont bien les éleveurs de toros bravos, lorsqu’ils doivent renseigner le pelage de leurs animaux. Le premier qui sortit en piste cet après-midi s’appelait Durillo, et il était, selon le vacher de Santiago Domecq, « salinero », c’est à dire que son corps beige était pincelé de quelques tâches du même marron foncé qui recouvrait entièrement la tête et le haut poitrail. Les puristes n’aiment pas trop ces fantaisies de pelages. Pour eux, de la même manière qu’une porte doit être ouverte ou fermée, un toro doit être noir, à la rigueur marron. Les puristes ne savent pas se régaler de tout. C’est bien dommage, car cette robe originale, salinera donc, fut la principale qualité du toro…

Presque toute la corrida fut à l’unisson de cet ennui, si l’on excepte la belle parenthèse de l’excellent cinquième, auquel Lorenzo dessina doucement de magnifiques séries de la gauche. Quand les toros auraient permis, les piétons n’y étaient pas, et inversement. Il faudrait aussi inventer un mot pour ce genre de profonds malentendus…

Demi-arène. 30 degrés. Le Levant, pas couché, faisait parfois frémir les toiles.

 

Menú del Día

C’est l’histoire d’un naufrage. Il faudrait d’abord décrire tous ces moments drôles et heureux passés entre les murs de briques rouges du Pepe Hillo, à avaler le café glacé de l’avant corrida, puis plus tard dans la soirée, à refaire et refaire encore, en s’appuyant sur des boissons plus sérieuses, chacune des faenas de l’après-midi.

Il fut un temps où à Séville, les choses étaient simples pour les français de passage. Ceux qui aimaient le chroniqueur de Libé, Jacques Durand, se rendaient en sortant des arènes au Serranito de la rue Antonia Diaz, où il avait ses habitudes. Là, ils essayaient de recueillir une parole du sage de Lansargues. Histoire de savoir ce qu’il convenait de penser de la corrida du jour, et de pouvoir aller faire le malin ailleurs, pendant le reste de la soirée, avec une grosse voix de connaisseur, sans risquer de passer pour une bille. Mais c’était parfois plus compliqué d’obtenir un commentaire de Jacques que de trouver un billet pour les corridas où l’on annonçait Curro Romero. Quant aux supporters de Zocato, le Pharaon de Pisos, grande plume du quotidien Sud-Ouest, ils se pressaient au Pepe Hillo, un bar chaleureux de la rue Adriano, juste derrière les arènes. Pour ce qui est des oracles de Vincent, ils étaient plus faciles à recueillir. Ça coûtait juste un verre de vin rouge.

Hélas, depuis déjà quatre ou cinq ans que l’ancien et sympatiquissime propriétaire du Pepe Hillo a passé la main, nous ne retrouvions plus le charme d’antan. Cette année, les choses se confirment. En pire. Dimanche dernier, après la corrida, nous nous sommes simplement fait jeter de la terrasse car nous étions cinq, et « on ne peut pas être plus de quatre à chaque table… » Quant à boire un coup au comptoir, ou à l’intérieur autour des tables hautes, c’est impossible : il n’y a plus de tables hautes, plus que d’imbéciles tables à quatre places réservées aux repas, et qui rapportent plus d’argent. Encore faut-il s’inscrire à travers un invraisemblable système de tickets qui rappelle les grandes heures expérimentales de la restauration au Banquet du Livre…

Bref, fin du Pepe Hillo. Déplacez-vous de vingt mètres sur la gauche, jusqu’au bar taurin La Taquilla, où les prix et les serveurs sont beaucoup plus aimables…

Au fait, les escargots sont arrivés depuis plusieurs jours. On conseillera, à consommer sur place ou à emporter, ceux du bar Once Sol, sis, on vous le donne en mille, au onze de la calle Sol, juste en face de la petite église de Los Terceros. Les Caracoles del cateto, que nous traduirons par les escargots du plouc, valent ce détour…

caracoles