Le corps conservé de Sor Angela de la Cruz, exposé aux visiteurs dans sa chapelle à Séville

Journal de Séville, vendredi 21 avril

Il faudrait inventer un mot. Comment pourrait-on appeler cette petite sieste de fin de matinée, quand on s’allonge dix minutes pas plus sur le canapé du salon, lorsque la nuit a été brève, pour réfléchir au menu de midi ou à la corrida du soir ? Une méridieste ?

J’étais là, en pleine possession de mes courts moyens, quand la sonnette de la porte a longuement résonné, avec une certaine insistance. Les seuls qui me savent à Séville, et qui sont susceptibles de passer me voir, ne le feraient sûrement pas sans m’appeler pour vérifier que je suis là. Quant à réussir à trouver ma porte, dans cet immense patio de vecinos du centre, ce serait une sacrée épreuve (voir sketch de la chauve-souris de Bigard, avant la haine machiste et le complotisme).

Une pomme. Une petite pomme rouge, fripée, juchée sur un corps bas et large. Voilà ce qui m’attend lorsque j’ouvre ma porte. Une bonne sœur toute marron, robe évasée en grosse toile brune, un collet de toile blanche couvre les cheveux et les épaules, un toquois du même brun que la robe enserre la tête par dessus. La petite pomme rouge me sourit du haut de son mètre trente, et se dandine d’un pied sur l’autre en marmonnant « bonjour, je viens du couvent de Sor Angela de la Cruz… » Quelques secondes de flottement, le temps que je me persuade qu’il n’est pas question de mon compte formation ou d’une proposition de pompe à chaleur, comme on en reçoit chez nous par téléphone à chaque fois qu’on imagine pouvoir faire la sieste… La pomme pense visiblement que son sourire et ses bonnes joues ridées suffiront, et je comprends qu’elle est là pour me demander la charité, comme les pompiers, juste avant Noël…

Qu’est-ce que je lui dis ? Que je déteste qu’on me dérange pendant ma méridieste ? Vais-je lui confier ce que m’inspire depuis toujours la vue d’une soutane…? Ce que je pense de ces vieilles salopes de bonnes sœurs espagnoles qui pendant la guerre civile ont volé des milliers d’enfants de femmes républicaines ou anarchistes emprisonnées, les déclarant morts à la naissance pour les offrir aux familles des grands bourgeois du régime franquiste ? Vais-je me mettre à crier « à l’usine ! », comme je le fais depuis 55 ans chaque fois que je croise une bonne sœur dans la rue ? (A la vive préoccupation de mes enfants lorsqu’ils étaient petits…)

La pomme est là, qui me regarde en silence. En 2021 – derniers chiffres connus – les Sévillans ont déclaré sur leur feuille d’impôts la somme de 13 millions d’euros de dons à l’église ! Et ils étaient 42% à avoir coché cette case, ce qui les place à dix points au-dessus de la moyenne nationale. La vieille le sait, c’est même pour ça qu’elle me sourit. Dans son couvent, situé à deux rues derrière, le corps momifié de sa patronne, fondatrice de la compagnie béatifiée en 1982 par Jean-Paul II, attend les visiteurs et les oboles, exposé dans un cercueil de verre.

Je regarde cette femme qui ne sait plus que faire de son corps à elle – soudain, sous mon silence, elle sait qu’elle en a un – et qui ne veut pas prononcer les mots de la quête. Elle danse d’une jambe sur l’autre, alors je lui rend brusquement sa liberté : « Je ne comprends pas ! » Et je referme la porte. Et c’est bien vrai que je ne comprends pas…

Mais au delà de mes humeurs, cette saynète, dans toute son absurdité, est avant tout le signe que quelque chose d’inexorable s’est accompli, qui a bouleversé Séville à tout jamais. Les chances que cette accorte moniale tombe sur moi dans sa campagne d’aumône étaient, jusqu’à peu, parfaitement nulles. C’est parce que le centre de Séville, qui a vécu depuis des siècles dans cet équilibre provincial où la religion avait une place naturelle, ce centre-là a disparu, remplacé par un parc d’attraction à ciel ouvert, où les boutiques de souvenirs ont détrôné les commerces traditionnels, et les locations saisonnières ont chassé les vieux habitants. Pour la première fois, cette année, on sent parfois comme une hostilité devant tant de touristes, leurs tics et leurs manières, ce sans-gêne qui provoque l’écrasement inéluctable d’une vie collective joyeuse et légère, moqueuse et inventive, avec ses limites et ses tares. On aura aussi détruit ça.

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Au début de la semaine, un article du Diario racontait l’étrange procession qui s’est déroulée dimanche dernier autour de la cathédrale. Traditionnellement, en ce dimanche qui suit celui de Pâques, une petite procession eucharistique se déroule dans le quartier proche pour porter la communion à ceux des voisins qui le souhaitent. Quelques dizaines d’enfants de chœur et de clergeons forment les rangs, et protégé par un dais brodé soutenu par quatre officiants, le curé de la cathédrale emprunte chaque rue du quartier, un pyxide de métal doré dans les mains, qui contient la réserve d’hosties consacrées. Un genre de petite glacière de camping portative pour corps du Christ. Seulement voilà ! Des habitants, dans le quartier, il n’y en a pratiquement plus ! Personne à qui donner la communion ! Et la procession s’est retrouvée comme en parade à Disneyland, entourée de touristes enchantés qui mitraillaient la scène à grands coups d’iPhones. Les terrasses gagnant de plus en plus sur le pavé des rues, on dut même en pousser une pour que la procession puisse passer. Un désastre.

Légèrement énervé, le journaliste concluait : « Le tout dans un décor bondé (et très laid) au milieu des enseignes de franchises de glaciers et de restauration rapide, des touristes qui prennent un café les pieds sur la table. Au son du claquement exaspérant des tongs. Et les aisselles à l’air quand le thermomètre s’installe au dessus des 30 degrés. Sans aucun doute, la procession du Tabernacle est un bijou ancien menacé par un centre en adoration perpétuelle d’un nouveau dieu, celui des valises et des sacs à dos. » On apprend aussi que l’hermandad en charge de cette procession s’interroge beaucoup sur son avenir. On les comprend.

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On notera que rien de ce qui fait reculer la religion ne m’est mélancolie. Mais c’est une autre chose qui s’interroge ici, bien plus profonde. La capacité qu’ont les hommes à détruire ce qu’ils sont venus admirer. La mairie et la Junta d’Andalousie viennent pour la première fois de lancer un grand plan de limitation des locations touristiques dans le centre. On a bien peur que ce ne soit trop tard…

Les rues du centre ville, étouffées par les touristes...

Les rues du centre ville, étouffées par les touristes...

 

Un autre vif débat bouscule ces jours-ci les partis politiques espagnols en campagne électorale. Il est question du Parc Naturel de Doñana, près du delta du Guadalquivir, des milliers d’hectares sauvages protégées par des réglementations très strictes que la droite et l’extrême-droite voudraient assouplir pour permettre aux agriculteurs de la zone de développer des cultures vivrières sur le territoire du parc. Des centaines d'hectares de fraises sous tunnels de plastique qui demandent un arrosage peu compatible avec la sécheresse qui s’est installée ici depuis plusieurs mois. La solution, pour Vox et le Partido Popular, c’est de multiplier les puits clandestins qui assèchent les nappes phréatiques. L’Europe et le gouvernement central de Pedro Sanchez dénoncent ces projets. Et les animaux de Doñana s’inquiètent. On parle ici du roi des garrigues, des montagnes et de la marisma, le linx ibérique, dont les populations se sont développées à l’abri du parc. On a comptabilisé en Andalousie, à la fin de l'année 2022, cent cinq linx de plus que l'année précédente. La population globale représente dans la région 627 spécimens, dont 108 pour le seul Parc de Doñana.

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Entre San Juan de la Palma et Campana, sur un mur de la petite rue Don Pedro Niño, un humble graffiti : « Ta frimousse de gitane ne sort plus de ma tête »…

Don Pedro Niño tag

 

Troisième corrida de Féria, six Toros de Nuñez del Cuvillo pour
Diego Urdiales, jaune pastel clair et passementeries noires, silence et silence
José Maria Manzanares, rouge volets de Chantaco et or, silence et silence
Andrés Roca Rey, bleu nuit de Santiponce et or, une oreille et deux oreilles.
Lorsque les gradins sont remplis tout au long de l’arène, la Maestranza sonne différemment. La lumière vive du soleil, les cris et les murmures, tout s’écrase sur les corps vivants. Un monde mat. Mais y avait-il, cet après-midi, tant de grands tumultes à calmer ? Tant de grands toros non plus (à part le cinquième, que Manzanares laissa échapper coupablement). Chacun resta donc en son confort, le public aussi, qui avait décidé d’adorer Roca Rey, et qui s’est souvent réjoui de peu. Quant au dernier toro, objet d’une préoccupante manifestation collective, il faudrait ré-étudier passe à passe la faena de Roca Rey, qui certes fit preuve du formidable engagement qu’on lui connaît, mais qui attendit la dernière série pour véritablement peser sur le toro. Jusque là, on espéra. « Ni una padentro ! » soupirait mon voisin sévillan… Un malentendu qui valut à Roca Rey de sortir en triomphe par la Porte du Prince, comme s’il le méritait vraiment.
Arènes pleines, ciel bleu parfois passagèrement troublé de nuées, de 27 à 23 degrés.
Andrés Roca Rey en triomphe (belle photo de Maurice Behro)

Andrés Roca Rey en triomphe (belle photo de Maurice Behro)

 

Menú del Día

Juste derrière les arènes, rue Pastor y Landero, on avait ses habitudes chez un breton sympathique qui s’était installé, voici quelques années, à la place du célèbre Pescaíto frito où s’achevaient bien des nuits de fêtes. Le covid a été fatal au Séptimo et à ses tapas délicieuses, et le chef est rentré en France. Aujourd’hui, ça s’appelle La Chiquilla, et le principe est celui du restaurant. A midi, quelques tables sous parasol se dressent sur le trottoir, en face du vieux marché de l’Arenal. On conseillera un lenguado parfaitement réussi, léger et goûteux, ou des puntillitas servies ici avec un œuf, comme les chancletes
Joaquin se corta la coleta

Lorsque le capitaine de l'équipe de foot du Bétis annonce sa retraite, voilà ce que ça donne à la Une du quotidien local…