Le mois dernier, une offre d’emploi a défrayé la chronique des réseaux sociaux : « Cherche serveur pour un bar, huit heures et demi par jour, six jours par semaine, mille euros pour le mois. » Dans cette annonce, qui a lancé un mouvement de mécontentement profond chez les serveurs de Séville, le travail est donc annoncé à 4,90 euros de l’heure ! La face noire de la grande fête… Mais les serveurs ne sont pas les seuls à trouver que les employeurs exagèrent : avant la féria, circulaient aussi des annonces d’emplois de vigiles pour surveiller l’entrée des cassettes… payés 3,30 euros de l’heure. « Nous ne trouvons pas de serveurs ni de cuisiniers, et pas non plus d’agents de sécurité ! » se lamentent les patrons de bars et de restaurants. Ils devraient peut-être commencer par les respecter.
Cette japonaise tout en noir, au pied des champignons d'Encarnación, chapeau rouge, sac à dos rouge, cheveux tirés en arrière. Elle est seule, son regard est perdu dans les structures modernes du marché. Puis elle commence à s'agiter sur place. Comme si elle chassait des fourmis dans une de ses jambes. Mais elle tourne sur elle-même, et commence une danse muette, zapateadas de plus en plus rapide, seuls ses pieds bougent, tout le reste de son corps est immobile. Sûrement une révision de sa leçon de flamenco de la veille...
C’est un film, de 15 minutes. On vous le propose en bas des marches des immenses parasols de bois d’Encarnacion. Vous vous installez dans une salle de cinéma climatisée, et là, sur l’écran, défilent les principales images de la ville. Les lieux les plus visités – la Place d’Espagne, le marché de Triana, la Cathédrale, les jardins de l’Alcazar, les berges du Guadalquivir, etc. – et les événements les plus fameux – processions de semaine sainte, ambiances de féria, corrida de toros (mais à cheval, et très très peu, on ne sait jamais) bars de nuit, églises fleuries, canotage sur le rio – jusqu’au marché dans le sous-sol duquel vous vous trouvez. Le tour de la ville, d’une année à Séville, sans bouger son cul, pour 10 euros. A quoi bon marcher dans la ville au hasard et risquer de rencontrer des gens ? On peut repartir directement à l’aéroport. Séville ? Oui, on l’a fait l’an dernier…
La féria se termine la nuit prochaine, avec à minuit le traditionnel feu d’artifice. Durée, 15 minutes, autant que le film publicitaire municipal. Mais là, la délégation des grandes fêtes a commandé à l’entreprise de pyrotechnie de Saragosse, spécialisée dans ces événements, une performance composée de dix-huit phases de tir, pour un total de 4 900 feux lancés dans le ciel de Séville. Le spectacle s’appelle « Universo ». Il sera tiré du môle de New York, sur le bord du fleuve, et on pourra l’admirer de divers points de la ville. On espère simplement qu’avec la sécheresse qui sévit, les près de 5000 feux lancés en l’air cette nuit retomberont bien éteints, sans occasionner de problèmes.
Cette Féria qui s’achève ce soir restera à bien des égards comme une féria exceptionnelle. La chaleur et le nombreux public ont permis de renouer avec les grandes fêtes d’avant la pandémie. Supprimée en 2020 et en 2021, marquée par une grande présence du covid l’an dernier, la féria a repris cette année son train habituel, son insouciance et sa magie. Rien ou presque n’arrête la féria. Ou presque. La seule fois avant où elle ne s’est pas tenue, c’était bien sûr entre 1937 et 1939, pendant la guerre civile, quand le pays à feu et à sang s’entredéchirait. Un an plus tard, l’Espagne, comme assommée, essayait de reprendre une vie normale. Ceux qui n’ont pas fui ou qui ne se terrent pas acceptent le silence et le renoncement. Alors la vie doit reprendre. Surtout que le régime tient absolument à donner à l’extérieur l’image d’une société apaisée, qui partage à nouveau fêtes et traditions. En avril 1940, la féria reprend sur le Prado de San Sebastián, sous l’impulsion et les efforts du maire de l’époque, Manuel Bermudo. Il se démène auprès des autorités franquistes pour obtenir des passe-droits et pouvoir aller s’approvisionner à l’étranger. Pour confectionner les beignets et les churros, on manque de farine, alors il obtint l’autorisation d’aller l’acheter en Italie. Pour confectionner les cassettes, pas de toiles. Il ira en chercher des centaines de toises à Londres. A l’étranger aussi pour l’alcool à brûler des lampes, ou les guirlandes électriques. La féria reprit donc, avec des chants, des danses et des fêtes. Elle ne s’est plus jamais arrêtée. Jusqu’au covid…
La fondation Michelangelo pour l’artisanat d’art présente une exposition d’une cinquantaine de pièces signées par des artisans du monde entier. On dit ça par facilité, pour ne pas dire artistes, mais on a tort. La perspective de visiter une telle expo à midi un jour de féria m’enchantait moyennement. Mais Cécile Mesplède, qui dirige à Séville Cactus Events, une agence de voyages originale et maline – et elle, donne toujours l’impression de se régaler autant que les gens qu’elle accueille – a su nous convaincre de son caractère exceptionnel. Installée dans un chemin de lumière au sous-sol du marché de Triana, dans le Castillo de San Jorge, Maestros del futuro joue avec les apparences des matières. On pense admirer un objet en cuir, mais c’est de la terre cuite. Un grand vase de cristal du Murano, mais c’est une pièce de silicone. Les vases sont en fleurs, et les céramiques s’envolent. C’est magnifique, épatant, et très convaincant : l’artisanat n’est donc pas condamné au macramé ou aux poteries moches. C’est aussi un territoire de grande création. Tous les jours (sauf le lundi) jusqu’au 31 mai.