Payo+Adame

Les chocolats de Nîmes

« Un monde qui traite les êtres humains comme du bétail et qui voudrait traiter le bétail comme des êtres humains marche à l’envers »… Ce simple tweet, vendredi matin, du critique taurin du journal El Mundo, Zabala de la Serna, résume parfaitement la confusion actuelle.

On est à Nîmes pour la féria des vendanges, légèrement mal à l’aise de continuer ces rituels au milieu d’un monde qui s’effiloche, s’effondre, s’abandonne au caniveau. Mais persuadés qu’une résistance se joue aussi dans ces arènes, qu’on aurait bien du mal à signifier clairement. Alors on ouvre grand ses oreilles, en surveillant les signaux qui, dans cet étrange monde des toros, viennent nous conforter ou nous effrayer dans ce que l’on pressent… Le tweet de Zabala, les messages Facebook de tel ou tel, que l’on croisera ce soir dans le callejon. Parfois aussi, hélas, des bouffées de peurs impensées, racisme pur à l’arrivée. Comment faire avec ce carrousel infernal ? Faire ce que l’on a à faire, le mieux possible. Encore mieux…

 Zabala

 On pourrait définir chaque arène à partir de son callejon, ce long couloir qui court autour de l’arène, protégé par d’épaisses planches, et où se réfugient les toreros, les professionnels, les journalistes, les amis de l’empresa, et quelques personnalités plus ou moins à leur place, dans un entre soi qui exaspère ceux qui n’en sont pas.

Le monde du callejon est codifié, dans chaque arène, selon ses propres rites et l’humeur de l’empresa. Vic, Dax, Bayonne, Arles, Béziers, Mont de Marsan, on pourrait faire un guide des callejons avec des étoiles, des recommandations (ici se mettre vers le toril, il y a moins de monde et vous serez à l’aise ; là, plutôt sous la Présidence ; ailleurs, ne pas interpeller le Directeur lorsqu’il passe devant vous, courbé, pendant la lidia – il déteste ça - ; là encore, éviter l’endroit où le cheval de picador s’arrête ; enfin, choisir là-bas le burladero près de celui des areneros : une meurtrière dans le mur donne directement sur le bar ; etc. etc…)

A Nîmes, le callejon est vaste, clair, vierge de tout obstacle, de tout étrange édicule à toit construit avant guerre pour des types qui mesuraient un mètre soixante pour les plus grands. C’est un callejon égalitaire : chaque burladero est pareil aux autres. Mais certains sont toujours plus égaux que d’autres : la sécurité du callejon a été confié paraît-il, depuis le début de l’année, à une société privée (arlésienne ?), qui ne connaît ni ne reconnaît personne. Et on a intérêt à obéir…

A Nîmes, le spot d’enfer, celui connu des spécialistes, se situe dans la contrepiste, entre les burladeros 7 et 17. On y croise Jacques Durand, Alain Montcouquiol, Gérard Dupuy, ancien rédacteur en chef de Libération lorsque ce journal méritait un peu de notre argent et toute notre mauvaise foi, le peintre Formica, Frédéric Pascal, Chinito et quelques autres toreros retirés. Spot d’enfer car s’y pratique un extraordinaire trafic de confiserie, à côté duquel la French Connexion n’était qu’une aimable bourse de Pokemon pour cour de récréation de collège religieux. On se fait goûter des spécialités inconnues, on s’échange des adresses. Jeudi soir, Gérard Dupuy vantait la meilleure adresse de Paris, révélée par le critique gastronomique du Monde : « C’est un magasin merveilleux, mais son nom est stupide. Ça s’appelle Aux Chocolats de Paris, or il y a très peu de chocolats ! » On sentait l’indignation vibrer dans sa voix. Et il ajouta à l’adresse d’Alain « Je suis un peu embarrassé, je t’avais préparé un paquet, mais j’ai tout mangé… »

Il y a, lorsqu’on cherche dans un annuaire, 340 confiseries recensées sur la commune de Paris. Les Bonbons (6 rue Bréa), Les Petites Chocolatières (rue des Martyrs), Sources Vives de Jérusalem (rue des Barres), Ambre et Sucre (avenue des Gobelins), Les Petites Merveilles de Damas (rue Monge), portent des noms remarquables qui incitent au détour. Comme Les Bonbons au Palais (19 rue Monge), qui affichent en sous-titre le très excitant « Confiseries Régionales »… Mais je n’ai pas trouvé Aux Chocolats de Paris, la boutique de Gérard. Ni La Favorite, qui manifestement n’existe plus : c’était, sur les Grands Boulevards, le magasin que tenait, dans les années cinquante, ma grand mère paternelle. La confiserie était située juste en face d’un théâtre, et je me souviens des actrices en robes à panier qui traversaient à l’entracte, en courant et en relevant leurs jupons, pour venir acheter des chocolats Malakoff…

Bonbons

Mais à Nîmes, dans le callejon, il n’y a pas que des dealers de bonbons. Il y a aussi parfois des gens dont on se demande ce qu’ils y font. Jeudi après-midi, un novillo de Los Chospes a très sèchement envoyé valdinguer le jeune torero Louis Husson. Rouste, frayeur, et transport à l’infirmerie. Quelle n’a pas été alors ma surprise de voir se précipiter… le curé des arènes ! L’abbé Tessier, auteur l’an dernier d’un livre tout entier consacré à sa propre gloire, dans lequel, après quelques réflexions insipides sur le rapport au sacré, il publiait des photos de lui avec des toreros vedettes et, pire, des clichés de lui toréant quelques vaches ! J’avais pourtant cru comprendre que la vanité était le pire des péchés. Bref, l’abbé se précipite ! On imagine la tronche du gosse, à l’infirmerie, quand il l’a vu rappliquer : « Merde, c’est si grave que ça ? »… Qu’est-ce qu’il fout là, l’abbé ? Il va chercher le client ? Décidément, A bas la calotte !

L'ancien matador Julien Dusseing El Santo, qui est devenu banderillero, était jeudi dans les cuadrillas de la novillada.

L'ancien matador Julien Dusseing El Santo, qui est devenu banderillero, était jeudi dans les cuadrillas de la novillada.

 

Vendredi, 12h45, Musée des Cultures Taurines.

Comment naissent les traditions ? Ce n’est pas le pire endroit pour se poser la question. L’an dernier, à l’initiative de l’association des Avocats du Diable, qui soutiennent les éditions du Diable Vauvert et inventent des animations autour de leur catalogue, est née l’idée d’un Pregon, comme dans les grandes villes taurines espagnoles, où une personnalité prononce, en ouverture des fêtes, une adresse à la ville et à son aficion, un compliment majeur et officiel. L’an dernier, c’est le philosophe Francis Wolff qui essuya les plâtres. Cette année, c’est le bon Zocato qui prit à cœur la responsabilité qu’on lui confiait. Il dressa un chemin taurin imaginaire et très coloré qui reliait Nîmes à chacune des villes avec lesquelles elle est jumelée. On partit donc sur ses traces, et celles de son ami vendeur de piments à Preston en Grande Bretagne, à Vérone, à Brunswick et à Francfort-sur-l’Oder, à Rishon LeZion en Israël, et à Cordoue… « Tout est vrai ! » répétait Zocato à la fin de chaque incroyable aventure. Puis quand tout fut fini, et son triomphe acquit, il lâcha, en quittant la scène : « A boire, ou on tue le chien ! »…

 

Vendredi après-midi : Alain est absent. Hier, avec gourmandise, il m’a annoncé qu’il allait « au campo ». C’est l’expression tauromachique la plus mystérieuse qui soit. On va « au campo ». On ne va jamais chez untel ou untel, à telle heure, pour tuer un toro en privé. On a trop peur d’être suivi. Alors on va « au campo », ce qui laisse à son interlocuteur entre quelques milliers d’hectares, de routes submersibles, de fincas blotties au fond de chemins creux, d’arènes de tienta dissimulées entre les joncs. Alain accompagne Thomas Joubert, Tomasito qui, à la surprise de beaucoup – et surtout ceux qui ne le connaissent pas – termine une saison 2015 troublante. Il n’a laissé passer aucun rendez-vous, et a triomphé à Istres, à Saint Gilles. Mais le marché cadenasse la moindre opportunité. Et le talent le plus reconnu est hélas celui des carnets d’adresse et des renvois d’ascenseurs.