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Les repentirs d'Antoine Beauchamp (1)

L’après midi du 16 août, on prend le bus à Tanger pour rejoindre Chefchaouen, ville bleue accrochée aux montagnes du Rif. On laisse derrière nous le Grand Soko, le détroit bleu, les Colonnes d’Hercules, le Djebel Musa (moins connu que son frangin d’en face, le rocher de Gibraltar). Après avoir attendu au bistrot de la gare routière, après qu’une abeille s’est baignée dans mon thé, après les « c’est ici le départ ? » « non là bas », les familles déplacent leurs enfants et leurs valises d’un trottoir à l’autre, après une engueulade entre un surfiste australien à dreadlocks et l’homme à plis dans le cou qui mettait les sacs dans les soutes en pliant les billets dans ses gros doigts, le bus est parti vers le Rif, enfin. A la sortie de la ville, j’ai vu ce panneau de l’autre côté de la vitre, entre les rideaux.

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Rideaux ouverts d’un coup. Photo prise sans penser qu’une photo de panneau, a priori, ça déçoit. Mais photo prise par besoin de preuves, parce que loin des cornes, des férias, des arènes, la corrida nous pince parfois. Ca fait comme une palpitation.

Triste de ne pas avoir su avant que Tanger avait une « Plaça Toro », j’ai pensé à l’orthographe de ces deux mots à côté de la flèche qui dit « gauche ». Mélange de portugais et d’espagnol à l’image de Tanger la mélangée. Faire des recherches sur ces arènes, savoir quand elles ont été ouvertes (le 27 août 1950 au cartel Angel Peralta entre autres), qui y a toréé, comment ça s’est fini (4 octobre 1970, alternative donnée à un novillero de 40 ans, Manolo Lozano, parrain El Cordobés).

16 août 2015 sur la route du Rif, alors que le bus s’endort doucement, des images en noir et blanc apparaissent et des olé volent au-dessus de Tanger.

On me dit que c’était une arène au milieu des prés, construite pour les Espagnols installés là, essentiellement des éleveurs de vaches hollandaises et de cochons ; quelques curés, aussi, l’Eglise ayant acheté des terres autour. J’apprends ensuite que le café en face des arènes faisait office de poste. Une seule adresse pour tous les habitants du quartier, sans nom de rues ni numéros : « Café Hammadi, route de Tétouan, km. 1 ».

La ville s’étalant, le quartier a gardé le nom de Plaça Toro ou Plaza Toro. Aujourd’hui, la plaza est selon les avis un carrefour ou un rond point. Arrêté au feu rouge, la frustration persiste de ne pas avoir su qu’il y avait là des arènes. Et puis...

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Et puis voilà sur la gauche. Une autre photo prise comme on tire à l’arc alors que le bus avance. La flèche indiquait bien « gauche ».

Style hispano-mauresque usé, on imagine les courants d’air et les rambardes rouillées. Le sable doit être couvert d’herbes folles, avec par endroit des traces de pas comme ceux des loups dans la grotte Chauvet. On doit aussi y trouver de la réclame râpée pour les alcools d’Osborne. A l’image du Teatro Cervantes, autre haut lieu de la culture espagnole en ruines à Tanger, les arènes se craquèlent. Il paraît que des fils à linge occupent désormais la piste. Est-ce que des enfants y entrent et y rêvent ? Est-ce qu’ils se jettent dans les draps, les doigts en cornes, en grattant le sol ?

16 août 2015. Je ne ferai pas le tour des arènes de Tanger, les portes sont fermées et le bus va vers Chefchaouen la bleue. Le feu repasse au vert. Route de Tétouan, km.1.

Antoine Beauchamp

 

Une lectrice de Faenas, Cécile de Séville, nous fait parvenir ces photos des arènes de Tanger...

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