Le vapeur "Mexique", qui convoya jusqu'en Amérique du sud, en 1939, des centaines de républicains espagnols...

Vive la République ! par Alain Montcouquiol

La section "Papiers" offre à la relecture des textes initialement parus dans la revue ou dans la collection Faenas.

Ce texte, d'Alain Montcouquiol, est extrait du livre "Le sens de la marche, ou Westor" paru en juin 2008 dans la collection Faenas. La scène se passe à Mexico...

 

 

"Lorsque nous sortions de l'hôtel Palace, nous nous arrêtions souvent pour échanger quelques mots avec les chauffeurs de taxi qui stationnaient là en permanence. L'un d'eux était notre chauffeur quand Christian toréait dans la capitale. Un matin, comme nous lui serrions la main, il nous présenta celui avec qui il discutait :

- Pablo... El matador Nimeño II y su hermano.

- Españoles ?

- Non, nous sommes français.

- Moi, je suis espagnol. De Lérida.

- Lérida ! Nous nous y arrêtons parfois pour manger un morceau lorsque nous allons de Nîmes à Madrid.

- Moi, j'en suis parti en 1936, j'étais républicain, j'ai fait ma vie ici, je n'y retournerai jamais.

Il habitait le quartier, nous le rencontrions de temps en temps et échangions toujours quelques mots avec lui. Il préférait parler de politique que de tauromachie.

- Il faut bien reconnaître, me disait-il, que si votre pays n'a pas été très généreux avec la République espagnole, c'est bien chez vous que sont nées les idées de justice qui ont fait rêver le monde.

Un jour, il m'expliqua en me montrant du doigt le restaurant Rio Deva :

- C'est là que nous nous réunissons tous les mois, avec un groupe d'amis républicains, acceptez-vous d'être un jour nos invités ?

Autour d'une longue table rectangulaire, une quinzaine d'hommes endimanchés, chemise blanche, cravate, boutons de manchette. Tous impeccables. Leur âge ? Entre 60 et 80 ans...

- Camarades, je vous présente nos invités, le matador Nimeño et son frère Alen, annonça le président.

Puis il désigna un à un ses camarades et nous les présenta tous :

- Antonio Lopez, de Huelva.

- Santiago Tejares, de San Sebastian, etc.

Le repas, une paella, fut joyeux et bruyant, émouvant aussi quand l'un ou l'autre évoquait sans s'y attarder quelques épisodes douloureux de la guerre civile. Mon voisin contenait son émotion en parlant des Brigades Internationales. Nous bûmes le café, un anis Del Mono. Alors le président se leva, nous remercia, frappa du plat de la main sur la table, et tous se levèrent d'un bloc. Ils sortirent des poches de leur veste des sacs en papier marron, les défroissèrent puis étranglant l'ouverture, ils la portèrent à leurs lèvres pour souffler dans les sacs et les gonfler. Chacun tenant son globe de papier pincé entre le pouce et l'index. Le président s'assura d'un coup d'oeil que tout le monde était prêt, il leva sa main droite et "Boum" fit exploser son sac tenu dans sa main gauche. Tous firent de même et quittèrent immédiatement la salle. Adios ! Adios ! Hasta luego ! Adios !...

Cette surprenante fin de repas, le grand sérieux de cette cérémonie, dont nous n'avions pas tout compris, nous avait intrigués et émus. Deux jours après, Christian en avait eu l'explication par Pablo :

- Depuis qu'ils sont réfugiés au Mexique, ils ont cette coutume. Ça veut dire : Mort à Franco ! Vive la République. Et c'est aussi pour ne pas oublier leurs camarades morts... Ces types m'impressionnent !"

 

Alain Montcouquiol

Illustration : Le vapeur "Mexique", qui convoya jusqu'en Amérique du sud, en 1939, des centaines de républicains espagnols...