23_MAI

Nîmes, 23 mai 2015 : Tout est pardonné.

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Il y a des fois, on se demande… Dans la petite cour de récréation de tweeter, je vois passer ce message, relayé par la Fondation Brigitte Bardot. C’est une jeune fille, Elsa Strasser, son profil indique qu’elle est assistante vétérinaire. Elle est aussi un peu mono-centrée : sa time line est entièrement composée d’images de toros sanguinolents et d’invectives diverses. Une interminable colonne répétitive de vidéos et de photos de toros à l’agonie. Mais hier, son message pathétique fait enfin référence à une expérience personnelle :

Donc, elle a vu passer les toros. Et elle demande pardon. J’ai toujours été frappé, en voyant les anti taurins manifester à l’entrée des arènes, par la componction toute chrétienne des sentiments qu’ils affichent (je ne parle pas bien sûr des commandos qui insultent et qui frappent). On peut y reconnaitre la béate indignation de ceux qui manifestent, à l’aube, devant les prisons américaines, les matins d’exécutions capitales. Le Diable est dans cette confusion…

Le vent toujours, qui soûle plus sûrement que les Costières. Les vendeurs de savon à la lavande, de chapeau de paille d’Italie, d’horribles tee-shirts bariolés, de ceintures en joncs tressés, de tuiles peintes à motifs provençaux et de bonbons multicolores s’accrochent à leurs parasols qui s’accrochent aux pavés du boulevard. Il est entendu que ce n’est pas un temps pour la tauromachie : le vent soulève les capes comme des jupes, et vous colle la muleta contre le corps, le laissant à la merci des cornes.

Dans le Midi-Libre, ce matin, le compte rendu de la corrida d’hier fait la part belle à la novlangue : « Morante de la Puebla, qui a coupé une oreille sur son second adversaire… » Il toréait sur Nîmes, et il l’a coupé lui-même…

David Fandila Marin se fait, dans les arènes, appeler El Fandi. Dans quinze jours, il fêtera son trente quatrième anniversaire. Il est né à Grenade, une ville merveilleuse tapie en moyenne montagne andalouse autour des grands palais Nasrides de l’Alhambra.

A Cadix, dans n’importe quelle rue du centre ville, où que l’on se tourne, on aperçoit la mer. A Grenade, où que l’on soit, on voit l’hiver briller les pentes enneigées de la Sierra Nevada. Résultat, David Fandila est devenu champion de ski, membre de l’équipe nationale. Né à Cadix, il aurait sûrement gagné la route du rhum…

Mais dans certain quartier de Grenade, on aperçoit parfaitement les arènes. Et petit à petit, le noir des toros s’est glissé sur la neige blanche, jusqu’à le convaincre tout à fait. A dix sept ans, il commence donc une carrière de novillero. Evidemment, quelque chose est resté en lui du sportif à grosse cuisse. Et sa tauromachie est toute entière marquée par le principe fondamental de la flexion, du planté du bâton et de l’extension, qui fait de lui un banderillero hors pair. Pour le reste – et si l’on met de côté une trinchera à genoux ( !) au début de sa première faena – il faut dire qu’on s’ennuie un peu en attendant les banderilles suivantes…

Les petits toros de Nuñez del Cuvillo n’eurent pas la classe de leurs frères d’avril à Séville, et malgré une bonne faena classique de Manzanares, rien ne décolla vraiment.

José Mari Manzanares porte le deuil de son père, mort le 28 octobre 2014. Il a décidé de se vêtir, tout au long de cette saison 2015, d'un costume noir sur noir. Comme c’est salissant, il s’en est fait tailler une demi-douzaine. C’est quand même plus classe que le traditionnel brassard en polyamide et élasthanne. Le deuil et ses signes sont impénétrables, eux aussi. Maintenant que les curés jouent de la guitare sèche et font la tournée des zéniths, on est bien obligés de s’inventer soi-même ses propres rites. En essayant de ne pas tomber dans la superstition. Dans ma famille, près de Béziers, on recouvrait la télévision d’un linge pendant un mois après le décès d’un proche. On bouchait le monde.

La main droite sur le cœur, l’autre glissée dans le gilet juste au dessus de la ceinture, José Mari Manzanares, la tête basse, prie dans le fracas aigu des trompettes. Puis il se signe, deux fois, dix fois.

Autrement, le picador d’Alejandro Talavante ressemble, comme deux gouttes d’eau, à Pierre Arditi jeune…