François Garcia vient, en ce début d’année, de publier un très beau roman aux éditions Verdier, Le Remplacement, qui raconte ses débuts dans la grande aventure qu’a été sa vie de médecin. Pour saluer cette sortie, nous vous proposons un extrait de Bleu ciel et or, cravate noire, roman taurin qu’il publia dans la collection Faenas en janvier 2009…
« Le buste de don Baltasar Ibán, l’éleveur de toros, trônait dans l’entrée du Wellington, pas de doute, c’était lui le propriétaire de l’hôtel. Pour rencontrer les taurins il suffisait de se diriger vers le bar, ils étaient tous là affairés, olives dans les soucoupes, cerises banderillées dans le vermuth. Un gros type en costard, pochette impeccable, martelait le veston d’un plus jeune, tu ne peux pas me demander autant pour ton torero, il vient juste de prendre l’alternative ! Un autre parlait d’une feria au mois d’août. J’ai trouvé Pepe et Pedrín assis dans des fauteuils de pacha et qui était là ? Alfredo Guzmán, le cheveu rutilant, le cigare, hombre ! Installe-toi, Paco ! ceux-là il m’a montré son barreau de chaise, je ne les fume qu’à Madrid ! alors, tu tentes la carrière à la capitale ? il m’a demandé d’un air peu concerné. Je me suis assis à côté de Pedrín, nous avons causé, ses tientas, mes entraînements. Pepe, lui, je le sentais tendu, nous avons rendez-vous avec Manolo Chopera il m’a dit à voix basse, quand il arrivera il a ajouté prudent, je te le présenterai et tu nous laisseras, c’est important pour Pedrín cette rencontre.
Il est entré le grand Chopera, Manolo le Manitou, le Faiseur de Rois, et s’est avancé vers eux avec un sourire familier, ils se sont tous levés avec un sourire mêlé d’appréhension celui-là. Pepe, c’était pas souvent qu’on le voyait dans cet état, il était crispé de partout. L’impresario basque, il m’a serré la main et m’a regardé bien en face, lui, je ne le connais pas encore ! il a dit quand Guzmán m’a présenté, il s’est assis et je me suis éclipsé.
Au bar chacun guettait l’air détendu les mouvements de troupe, un mozo de espada blaguait avec un serveur, un autre piochait dans la soucoupe des cacahouètes, je me suis installé à deux mètres du petit groupe, don Manolo, disait Guzmán, je parle ici au nom de don Mateo, si on vous demande de mettre ce garçon, c’est que nous croyons très fort en lui, il a des qualités classiques et une marge de progression importante, Chopera écoutait impassible, et Mateo, est-ce qu’il me prendrait mes deux toreros pour la feria de juillet à Valencia ? je pense pas qu’il vous le refuserait dans ce cas il a répondu Guzmán un brin mielleux, le basque a éteint sa cigarette, bueno ! ce qu’il faudrait à ce garçon, c’est quelques courses dans des pueblos, d’autres dans des plazas de troisième et puis ensuite prévoir des villes comme Zaragoza et Bilbao en milieu de saison, au total une dizaine de courses, devant le visage rayonnant de Pedrín il a levé l’index, mais attention ! tu n’as pas le droit de nous décevoir, hein, chaval ! pas une seule fois ! et pour les toros, don Manolo ? ne vous inquiétez pas pour ça, il aura du bétail de garantie, même dans les villages ça chargera, il s’est levé Chopera et nous a tous salués, même moi j’ai eu droit à un signe de la main. Je l’ai regardé s’éloigner, dans ce milieu si dur, si exigeant, c’était lui qui dispensait les plus folles des promesses, de cruelles disgrâces et ça le rendait majestueux. Guzmán plissait ses yeux malicieux, satisfait. Pepe touchait au rêve, se contenait, Pedrín, lui, rongeait son frein, ne voulait pas trop parler, il sentait la voie royale qui s’ouvrait, la responsabilité aussi, il se concentrait sur ce qu’il allait devoir gravir, des montagnes et des montagnes, juste ce qu’il avait voulu.
Pepe nous a invités à déjeuner plaza Santa Ana, au Viña P comme les maestros. Ramiro et Manolito nous attendaient, Ramiro, chaussures blanches pointues, costume à rayures, ne passait pas inaperçu. La viande à la braise, du rioja de cosecha, on ne s’est pas privés, tant pis pour le régime. Charly n’était pas là pour surveiller.
Pepe et son fils se sont mis à parler, ils se relâchaient après l’entrevue, Pedrín avançait dans la concrétisation de ses rêves, il ne se posait que des questions pratiques désormais, celles qui devaient l’aider à triompher. Je sentais le chemin parcouru, la distance avec moi, on ne pense plus à la peur, c’est comme ça ! a dit le père, tu as trop de problèmes à résoudre devant un toro, garder la tête froide, réfléchir et réagir vite et bien, c’est ça l’important, il ne faut penser qu’à toréer et toi, Paco, il s’est tourné vers moi, rôde-toi mieux que tu ne l’as fait jusqu’à maintenant, sois comme au début quand tu fonçais ! donne-toi les moyens !
Il avait raison, Pepe, la lucidité des choses et l’amour du toreo bien fait, mais, tu sais, Pepe, c’est plus facile quand tu as quelqu’un à tes côtés, quelqu’un qui te soutient, quand on est seul, on doute de tous, à chaque instant. »
François Garcia, extrait de Bleu ciel et or, cravate noire, paru aux éditions Verdier en janvier 2009…