Jose_Tomas

José Tomas à Jérusalem

On l'a appris mardi 23 février : José Tomas va toréer cette saison 2016 ! Et il débutera le samedi 7 mai prochain à Jerez de la Frontera, dans le cadre de la traditionnelle Feria del caballo. Pour le reste - les autres dates en Espagne et peut-être en France - il faudra attendre les communications de Salvador Boix, qui redevient son apoderado... Tout cela l'enlève rien, ni ne rajoute, à l'article ci-dessous, publié quelques heures avant la grande nouvelle :

 

La passion et le commerce ont parfois des intérêts communs : le feuilleton entretenu depuis l’automne sur le énième retour de José Tomas, fin janvier, dans les arènes de Mexico, fut des plus entretenus, qui permit aux uns d’assouvir leur soif de rêves romantiques à deux sous, et aux autres de leur soutirer le plus d’argent possible. Précisons tout de suite que, relevant soi-même plutôt de la première catégorie, on aurait volontiers fait le voyage, si l’on avait eu deux sous à donner aux seconds, et si surtout l’on se permettait l’ultime audace de prendre l’avion, ce qui n’est pas près d’arriver ! « On est cons, disait Julien Gracq, mais quand même pas au point de voyager pour notre plaisir… »

Bref José Tomas revint le 31 janvier dernier dans la plus grande arène du monde, en mano a mano avec Joselito Adame, devant quarante cinq mille personnes et d’insipides toros de Los Encinos, Fernando de la Mora et Xajay.

Comme Louis XVI le griffonna dans son journal à la date du 14 juillet 1789 : Rien. C’est à dire, on le notera, beaucoup plus que dans quatre-vingt dix pour cent des corridas auxquelles on assiste. Car même si on n’était pas venu exactement pour ça, Joselito Adame sortit en triomphe après avoir coupé les deux oreilles de son dernier adversaire, ce qui suffit souvent, en temps normal, à sauver une féria toute entière.

Oui mais voilà, on n’était pas venu pour ça

Au début du mois d’août 1850, Gustave Flaubert arrive à Jérusalem avec plusieurs malles d’idées toutes faites. Quelques jours plus tard, il n’a pu en vérifier aucune, et s’en étonne dans son journal : « Aucune des émotions prévues d’avance ne m’est encore survenue… » La réalité ne ressemble pas du tout à l’idée qu’il se faisait de la ville sainte. Le 31 janvier dernier, à Mexico, Flaubert est sorti des arènes très très déçu, presque mécontent. La corrida n’a ressemblé en rien à celle du 16 septembre 2012 à Nîmes. C’est pourtant ça que l’on était venu revoir. Une tauromachie de perfection, la conjonction puissante des émotions collectives, le rêve éveillé d’un art achevé. Seulement voilà : à Mexico, les toros étaient faibles et sans caste, sans envie, sans présence. Et on ne peut rien bâtir devant des animaux qui ont perdu toute férocité, toute puissance.

Au lieu de simplement noter cette malchance – ou cette escroquerie, après tout, depuis le début de la saison, les toros sortent tous mauvais à Mexico ! – la plupart des commentateurs ont cherché à expliquer l’échec de cette corrida par des raisons extraordinaires, que l’on peut résumer dans cette imbécile proposition qui courut le web et les revues taurines : José Tomas serait redevenu un humain comme les autres… Ce qui laisse entendre que ça faisait un petit moment qu’il ne l’était plus. Cette bêtise rabâchée de l’extraterrestre parmi nous, outre que – mine de rien – elle rechigne à son véritable mérite, elle permet une fois de plus de ne pas réfléchir simplement à la tauromachie pour ce qu’elle est. En prétendant que José Tomas n’est pas ou plus un humain lorsqu’il transcende sa tauromachie, on le prive de sa plus grande offrande : la prise de risque ultime d’un homme qui veut être un peu plus que lui même pour, au nom justement de ses frères humains, vaincre le gouffre de la nature noire et hisser la condition humaine sur les terrains de la liberté, de l’engagement, de la vérité. Homme, avec un corps, qu’il porte sur lui. Là aussi, l’idiotie de « laisser son corps à l’hôtel », ça va bien deux minutes ! Ainsi donc les commentaires de cette corrida de Mexico, à tout le moins ceux qui prétendaient le rabaisser à la condition humaine, montraient l’ampleur du malentendu.

Mais un autre malheur est en œuvre, peut-être plus inquiétant : la passion taurine n’échappant pas aux vulgarités du temps, il faut bien reconnaître que, comme de pauvres parents d’élèves, les aficionados se transforment peu à peu en consommateurs. Et à Mexico, ils avaient payé pour un triomphe historique, pas pour une corrida ratée. Et c’est ça qu’ils ne pardonnent pas à José Tomas.

On n’est pas sortis des ronces. Il leur faudrait apprendre que c’est l’échec et l’ennui qui sont la règle, et les rares après-midi de triomphe l’exception. Mais tout le système taurin travaille pour eux, à coups de marketing, de mensonges, de fausses valeurs, de toros prévisibles et d’oreilles bradées.

José Tomas va-t-il se retirer définitivement sur ce malentendu ? C’est possible, même si l’on imagine que sa légende résistera à cette dernière grimace du destin.

En attendant, Faenas vous propose de revoir un extrait du magazine Tercios qui date d’octobre 2007 et qui revient sur la saison tauromachique de cette année-là, marquée par le retour de José Tomas, après cinq ans d'absence. Récit de cette temporada, avec les images des corridas de Tomas, et les témoignages des journalistes André Viard et Jacques Durand, et du banderillero Miguel Cubero...