Le petit théâtre de la Fondation Cajasol, sur la place San Francisco, derrière la Mairie, accueille ce matin une de ces célébrations dont raffolent les sévillans. On va faire des discours dans lesquels on laissera entendre que nous sommes tous formidables, on va remettre un Prix (hélas matérialisé par un magnifique objet d’art contemporain…) et on boira ensuite une bière fraiche. On aura ainsi promené son costume et sa pochette, embrassé quelques connaissances, et repris une autre bière fraiche.
Ce matin, pourtant, « l’acte », comme on désigne ces cérémonies convenues et multiples, l’acte, organisé par la Cadena Ser et son programme Carusel Taurino, a ceci de particulier qu’il honore deux personnages d’importance pour la cité, Juan Antonio Ruiz Espartaco et Curro Romero. Et que l'on sent, dans l'air, quelque chose qui ressemble à une affection véritable...
Espartaco parce qu’il a, au printemps dernier, relevé avec succès l’incroyable défi de revenir dans l’arène après quinze ans de retraite, pour toréer la prestigieuse corrida du dimanche de Résurrection, alors que les organisateurs peinaient, devant l’absence des figuras, à composer un cartel digne de la catégorie de ce rendez-vous.
Curro, parce que c’est lui.
On fit donc de nombreux discours, dans lesquels l’on glosa beaucoup autour de l’intraduisible mot de cariño, dont les uns et les autres abusèrent avec foi.
Le Prix consistait en une espèce de tête de toro en marbre qui pesait une tonne et faillit entrainer avec lui le fragile Curro dans les caves du théâtre. Détail délicieux, ce marbre est aussi celui avec lequel on confectionne de magnifiques pierres tombales… Dans son discours de remise de prix, Joaquín Durán, le patron de la Radio Télévision Andalouse, raconta pourtant une belle anecdote qui dit tout sur le phénomène…
« Quand j’étais enfant, j’habitais à Séville en face d’un petit bar. Sur un des murs, il y avait une pancarte qui disait, "Le monde se divise en deux : il y a ceux qui ont vu toréer Curro Romero, et ceux qui n'ont rien vu"... Et en passant, j’entendais toujours les clients parler. L’unique sujet de leurs conversations, c’était vous, maestro : ils passaient leurs journées à parler de Curro Romero ! A se disputer à propos de sa dernière corrida, ou de la prochaine… Depuis, je me suis rendu compte que partout, dans des milliers de bars, à Séville, dans toute l’Andalousie, mais aussi dans l’Espagne entière, et au delà, il y a des gens qui ont passé leur vie à parler de Curro. Dites moi... Vous en connaissez beaucoup, des gens dont on parle ainsi ?... »
"Fais attention, ils vont t’asphyxier avec les prix" : petit discours plein de malice de Curro Romero, à l'intention du maestro Espartaco avec lequel il vient de partager, ce mercredi 30 mars 2016, le grand Prix du Carusel Taurino de la Cadena Ser Andalucia...
Séville, mardi 29 mars, 20 heures
C'était une journée à 27°. En rentrant, on a prélevé, sur le citronnier qui nous accueille à l'entrée du patio, un fruit, pour le Gin Tonic du soir. Citron incroyablement parfumé, qui fait exploser le cocktail. Un des privilèges de cette ville, une des plus gourmandes du monde...
Séville, lundi 28 mars, 14 heures
Manzanilla au soleil...