Maestranza

Un avril à Séville (1)

Vendredi 1er avril : et Pagès dut se mettre à réfléchir…

S’ils n’étaient pas aussi insupportables et arrogants dans leur manière de tordre tout le monde taurin à leurs seuls intérêts, pauvres dandys dansant sur le pont du Titanic, nous devrions tous remercier le Juli et Morante de la Puebla, Manzanares et Talavante pour avoir fait mourir de soif la Maestranza de Séville et ses aficionados !...

Pendus durant deux ans au bord du gouffre, la gorge sèche, étranglés de toute part, les deux cuñaos les plus célèbres de la ville, les deux beaux-frères à la tête de l’empresa Pages, Ramon Valencia et Eduardo Canorea, furent bien obligés de se creuser la tête pour sortir des cartels à peu près dignes de la plus belle arène du monde. Ils n’y sont pas toujours parvenus même si, l’an dernier, les jolis coups du retour ponctuel d’Espartaco pour le dimanche de Résurection, et celui de Davila Miura pendant la féria devant le fer familial, firent illusion. Deux jolis coups de poker sévillan, deux réussites. Mais on ne peut pas indéfiniment faire ses courses dans les maisons de retraite…

Devant les grondements des aficionados, la baisse des abonnements, les tendidos plus vides que de coutume, le goût métallique du désamour et de l’échec a fini par gagner les Maestrantes. On donna cet hiver en pâture aux mécontents la tête symbolique d’Eduardo, qui prit une retraite opportune. Il se murmure qu’il ne serait pas parti si loin, et qu’il garde un œil sur les arènes et la confection des cartels, mais l’essentiel, « l’honneur », est sauf, qui permet aux figuras fâchées à mort, qui avaient fait le serment de ne plus toréer ici tant que « ces gens-là » seraient en poste, de revenir et de recommencer à prendre la plus grande part du budget, en imposant leurs toros…

Entre temps, quand même, les responsables de la tauromachie à Séville se sont enfin rendu compte qu’ils n’étaient pas à la tête d’une rente éternelle, que les aficionados n’étaient pas forcément obligés de tout accepter, et que les temps changeaient. Que s’ils n’y prenaient pas garde, la génération vieillissante qui garnit encore les gradins pourrait s’éteindre peu à peu en roumégant, sans rien trouver à transmettre à leurs enfants.

Alors, chez Pages, on s’est dit que le temps était peut être venu de s’intéresser vraiment à l’avenir de cette arène, en un mot de se sentir responsable de l’aficion à venir.

Depuis, les portes s’ouvrent aux enfants, aux adolescents, et aux adultes qui le sont restés. Dans les arènes, comme aujourd’hui en fin d’après-midi, ou ailleurs en ville, sur la Plaza d’España, une foule enthousiaste et joyeuse peut venir régulièrement tripoter les trastos, muletas, capes, banderilles, grimper sur le dos d’un cheval de picador ou simplement marcher sur le fameux sable, le menton en l’air et les yeux dans les nuages. Une chose est sûre : tous ces enfants, qui repartent les yeux pleins d’étoiles avec sous le bras un magnifique diplôme d’aficionado practico, ne verront plus jamais le monde de la corrida de la même manière. Une complicité joyeuse est née, qui devrait, dès qu’ils pourront en décider, les mener aux arènes un jour de corrida…