Dimanche 3 avril : les bourrins
On pose invariablement la question :
- Tu vas aux bourrins ?
Pourtant, Dieu sait qu’on connaît la réponse ! Non, on ne va pas aux bourrins. On ne va JAMAIS aux bourrins !... On s’en fout, des bourrins !
Bon, évidemment, quand Léa Vicens toréé, c’est autre chose. Là, on voit bien qu’il est question de tout, sauf de chevaux. Il aura fallu que la belle nîmoise se lance dans la carrière pour qu’on aille voir du Rejon. Comment on est, quand même !…
Aujourd’hui, à Séville, la Feria s’ouvre par une corrida à cheval ! Une corrida de bourrins : Rui Fernandez, Andy Cartagena, Leonardo Hernández, Roberto Armendáriz, Manuel Manzanares et Andrés Romero. On dirait la composition de l’équipe de foot des Canaries.
Ah ! Au fait, à propos de bourrins… Il y avait à la même heure une manifestation d’anti-taurins à la Puerta de Jerez. On y est allé. On a le regret de vous dire que cette fois-ci, ils étaient nombreux. Je dirais près de mille, même si je m’y connais autant en comptage de manifestants (le principe, c’est de compter les jambes et de diviser par deux, c’est bien ça ?...) qu’en équitation taurine. Ils étaient nombreux, et s’époumonaient sur des slogans classiques (« La torture n’est pas une culture »), émouvants (« Ce sont des êtres vivants, pas des jouets ») ou plus poétiques (« Les toreros à l’abattoir ! »). On eut un petit faible en passant pour la pancarte « Les corridas, dans le lit, pas dans l’arène ! », mais on n’en laissa rien paraître, n’est-ce pas, nous étions là pour déplorer…
La mairie de Séville avait autorisé le rassemblement à cinq cent mètres des arènes, et la manifestation à aller se perdre dans le quartier de Los Remedios, de l’autre côté du Guadalquivir.
Bon, j’ai hésité (est-ce qu’on leur fait de la pub ou pas ? C’est quoi informer ?), et finalement j’ai choisi de vous montrer la petite vidéo, pour que vous sentiez quand même dans le dos l’haleine de l’ennemi…
Pendant ce temps, à la Maestranza, devant une demi-arène et des toros de Benítez Cubero-Pallares, Andy Cartagena coupait une oreille, les autres écoutaient des ovations, jusqu'au bon sixième, à qui Andrés Romero coupa les deux oreilles.
Mais pour les corridas à cheval, le vrai spectacle est toujours dans les coulisses. Près des chevaux incroyables qui attendent en piétinant, devant les badauds, en faisant rouler des muscles d’athlète sous leur robe rutilante.
Chaque fois que je fais le tour d’une arène un jour de corrida à cheval, je repense à ce roman d’Eugène Sue, El Gitano, qui met en scène un pirate de la côte gaditane qui, un jour de corrida, fait un espontaneo à cheval pour séduire la femme de ses pensées ! On peut rêver de ça : une porte s’ouvre à grand fracas, et un cavalier saute la barrière pour aller affronter le toro. Franchement, ça a de la gueule… Le texte d’Eugène Sue est aussi plein de surprises. Vous verrez comment on se débarrasse vraiment d’un toro bravo !...
« Vous savez que le cirque de Santa-Maria est bâti sur le bord de la mer, et que deux portes seulement y donnent accès. Eh bien! tout à coup la barrière qui faisait face à la loge du gouverneur s’ouvrit avec force, et un cavalier se présenta. Ce n’était point un chulillo, car il n’agitait pas en l’air un léger voile de soie rouge, et sa main ne brandissait ni la longue lance du picador, ni l’épée à deux tranchants du matador ; il n’avait non plus de chapeau chamarré de rubans, de résille, ni de veste brodée d’argent. Vêtu tout de noir, à la mode des Croates, il portait des bottines de daim qui retombaient en plis nombreux sur sa jambe, et une toque de matelot où flottait une plume blanche ; puis il montait, avec une adresse et une élégance peu communes, un petit cheval noir harnaché à la mauresque, plein de vigueur et de feu ; enfin de longs pistolets richement damasquinés pendaient aux arçons de sa selle, et lui ne portait qu’un de ces sabres courts et étroits qui sont d’usage dans la marine militaire. »
« À peine avait-il paru que le taureau s’était retiré à l’autre extrémité de l’arène pour se préparer à combattre ce nouvel adversaire. Aussi l’homme noir eut-il le temps de faire exécuter à sa monture quelques passes brillantes, et de venir se poster au pied de la loge de la Monja. Là, il se mit à regarder fixement cette fiancée du Seigneur ! La figure de la pauvre fille devint pourpre comme la fleur du grenadier, et elle cacha sa tête dans le sein de la supérieure, indignée de la témérité de cet inconnu.
– Ave, Maria...
Quelle hardiesse ! dirent les femmes.
–Par la Vierge ! d’où sort ce démon ? se demandaient les hommes, stupéfaits d’une pareille audace.
Tout à coup un cri général retentit, car le taureau prenait son élan pour fondre sur le cavalier à la plume blanche, qui se retourna, salua la Monja, et lui dit en souriant : « Pour vous, señora, et en l’honneur de vos beaux yeux, bleus comme l’azur du ciel. »
À peine achevait-il ces mots que le taureau s’élança... Lui, avec une promptitude merveilleusement servie par la souplesse de son cheval, fit une pointe, et se trouva à dix pas de son ennemi, qui le poursuivit avec acharnement. Mais, grâce à sa vitesse, le petit cheval le dépassait presque en se jouant, et il prit sur lui assez d’avance pour que son maître pût s’arrêter un moment devant la loge de la Monja, en lui disant : « Encore pour vous, señora ; mais cette fois en l’honneur de cette bouche vermeille, purpurine comme le corail du Pervan. »
Le taureau arrivait avec furie : l’homme à la plume blanche l’attendit froidement, tira un pistolet de ses arçons, l’ajusta et l’abattit avec tant d’adresse qu’il vint tomber en mugissant aux pieds de son cheval. En voyant le danger imminent que courait cet homme singulier, la Monja avait jeté un cri perçant, et s’était précipitée sur la balustrade de sa loge, les deux mains en avant : il en saisit une, y imprima un brûlant baiser, et continua de jeter sur elle un regard fixe et arrêté… »
El Gitano, Eugène Sue.
Alors là, moi je dis : « Olé ! »
Miscellanées gourmandes à Séville (4)
Tout le monde connaît cette adresse derrière les arènes : Pastor y Landero, 21, juste en face du marché de l’Arenal. On appelait ça entre nous le « Pescaïto frito », même si ça n’a jamais été son nom. On y mangeait des œufs au jambon avec des frites, jusqu’à très tard dans la nuit. Les patrons, un couple de petits vieux malicieux, venaient s’asseoir avec nous au dessert et chantaient des fandangos déchirants. Puis il y a quelques années, ils ont passé la main à leur fils, un grand barbu, ténor dans les cœurs de l’Opéra de Séville, un peu fat, pas très sympathique. Il avait rebaptisé l’endroit "El Fogon de Figaro" !... On avait fini par ne plus y aller.
Or il se trouve que pour la Semaine Sainte, l’endroit, entièrement refait, a rouvert, à l’enseigne de "Septimo". Accrochées aux murs, quelques toiles de Loren (Tiens !...) et dans les assiettes, tout ce qu’il faut pour le voyage. D’abord les poissons : c’est peu de dire qu’à Séville, le poisson est bon, mais il est toujours trop cuit. Ici, le chef respecte les saveurs, les langostinas ou la merluza restent frais et tendre en bouche, jamais secs…
On conseillera les chipirons à la plancha sous leur poussière de chorizo, ou les artichauts aux gambas…
Le patron, un breton timide, est amateur de vin et propose des flacons originaux. Il sert aussi un fino délicieux, le Piedra Luenga, un "fino ecológico", dit la bouteille. Une version bio tout à fait convaincante, sans amertume aucune. C’est très difficile, paradoxalement, de trouver du Fino à Séville : tout le monde s’est depuis quelques années rabattu sur la Manzanilla… Vive l'alternance !...