Lonja

Un avril à Séville (4)

 

Lundi 4 avril : pétard mouillé

« Au moins, on sera pas emmerdés par les mouches… » Ainsi essayait-on de se réconforter en rejoignant les arènes, en milieu d’après-midi, sous une pluie battante. Depuis le matin, il est tombé sur Séville, sans interruption, plus d’eau que dans nos verres depuis la dernière féria.

Or, cette ville n’est pas faite pour la flotte. On le comprend aisément, en slalomant sur les trottoirs entre les flaques, et en évitant les congères de pollen accumulées depuis la veille, qui ménagent à chaque pas des pièges redoutables au fil de rigoles incertaines. On en a confirmation en traversant les jardins du Murillo, dont le sable doré n’arrive plus à absorber toute l’eau du ciel. C’est bien simple : le blanc éclatant, les ocres doux, toutes les couleurs de Séville disparaissent et se fondent dans un gris moyen cafardeux. Au pied du grand magnolia, les japonais disparaissent, engloutis par leurs parapluies. Tout le monde se cache, dans cette ville qui aime tellement se montrer…

En gagnant les arènes, pour cette première corrida du cycle férial, on savait déjà que quelque chose manquerait. Le soleil, évidemment, et aussi Fernando Carrasco, l’aimable journaliste de l’ABC de Séville, voisin d’arène depuis tant d’années, spécialiste des toros et de la Semaine Sainte, aimé de tous, mort il y a trois semaines d’une crise cardiaque, à une heure du matin, en passant à pied devant la Maestranza… Farce du destin, dégueulasse. Fernando avait cinquante et un an, une plume, des gosses, et l’avenir devant lui. Il était supporter du Bétis, et membre de l’Oder (Observatorio De Ensaladilla Rusa) une « Organisation non gouvernementale » qui regroupe à Séville des amoureux de la salade russe, lorsqu’elle est présentée dans les règles. On le voit, une bonne personne…

Murillo_trempé

Mélancolie des japonais dans les jardins du Murillo...

Japonais_Murillo

 

Cette première corrida était manifestement réservée aux types qui ont des prénoms bizarres. Esaú Fernández alternait avec Saul Jiménez Fortes et Borja Jiménez…

Bon, dans l’ensemble, on s’est bien emmerdé : il faisait froid, il y avait à peine un cinquième d’arène, les toros de Tornay étaient moches et sans intentions, et tous ces parapluies ouverts, ces fleurs colorées sans teint qui se dressaient ainsi entre la piste et vous, tout ça vous affaiblissait le regard…

Pour résumer la corrida, on pourrait presque se contenter des vingt premières secondes : la porta gayola d’Esaú Fernández à son premier toro. Où l’on voit parfaitement le temps qu’il fait, et la manière dont les choses, dès le début, s’en vont de travers…

 

Ajoutons à la liste des choses ennuyeuses, que Luis a vendu le Pepe Hillo, et qu’il est donc question qu’on change de salle de presse. Bref, comme disait Eddy Merckx, contraint d’abandonner après une grosse chute dans le peloton, on sent bien qu’un cycle s’achève…

Cuadrillas_pluie

Tendidos_pluie

 

 

Miscellanées gourmandes à Séville (5)

C’est ce genre d’endroit qu’il faut chasser : le quartier est tout ce qu’il y a de chic, pelé par les rénovations modernes, commerces pour faire chauffer la carte bleue et au milieu, comme un étrange îlot qui a résisté à tout, un vieux bar, à l’ancienne, tout à fait déplacé. On l’aura compris, c’est pourtant lui qui n’a pas bougé, et qui continue à servir, comme si rien ne s’était passé, la cuisine d’antan. On trouve ça très souvent à Séville, il faut juste avoir l’œil.
Comme dans la chic quartier des arènes, dans la calle Adriano, où l’on pourrait bien, si l’on n’y prenait garde, rater la bodega San José...
On rentrera là vers 13 heures, pour l’apéritif. On s’installera à une de ces vieilles tables, sur une chaise en bois pliante et peu confortable. Mais on n’est pas là pour faire la sieste. Le décor est totalement dépassé, les toilettes peu fréquentables, mais… On commandera des gambas blanches de Huelva, et un verre de Manzanilla. Tout le reste de la carte est là pour les pigeons, tenez-vous en aux gambas. C’est ici qu’elles sont fraîches et bonnes. Et franchement : des petites gambas avec une Manzanilla ! Non ?
Ensuite, seulement ensuite, tranquillement, vous pourrez aller manger. Ailleurs.

SanJose_Gambas