Mercredi 6 avril : Buridan papers
Lorsqu'on se promène dans la vielle ville, on tombe souvent sur de petits hôtels, cachés dans un recoin derrière un mur de géraniums. On se dit alors qu'il faudra qu'on s'en souvienne, et qu'un jour, on viendra là quelques temps, en retraite de tout...
Même à l'Alphonse XIII, insolent de richesse et de privilèges dans son étroit jardin de la Puerta Jerez, on irait bien se réfugier, dans l'hypothèse fort peu probable d'un gros lot à l'Euromillions, pour goûter à son tour aux charmes des Panama Brothers... Mais s'il y a bien un hôtel dans lequel on est sûr de ne jamais foutre les pieds, c'est celui qui va prochainement s'installer dans les treize derniers étages de l'imbécile tour Pelli dont le sguègue monstrueux se dresse au dessus de la ville. C'est Caixabank qui a fait construire cet invraisemblable tube de 178 mètres et de 40 étages, et qui reconnaît aujourd'hui que le positionnement d'hôtel de luxe cinq étoiles auquel ils prétendent, se heurte à de graves contre-temps : on a appris ce matin que la délégation à l'hôtellerie du gouvernement andalou vient de n'attribuera que trois étoiles au projet. Il semblerait que certains critères, comme la largeur des escaliers (1m30 au lieu des 1m50 exigés), ou l'impossibilité d'ouvrir les fenêtres, bloque le classement de l'hôtel, qui devrait être inauguré en 2017. Comme il semble un peu compliqué d'agrandir les escaliers, et que les normes de sécurité imposent des fenêtres fixes, les responsables de la Caixa sont semble-t-il en train de faire pression sur la Junta et sur la Mairie pour... faire modifier les critères d'attribution des étoiles !... La prochaine fois que tu te fais chopper pour excès de vitesse, toi aussi, demande à pouvoir bricoler le radar...
De toutes façons, pour accéder à cet hôtel, il faudra prendre un ascenseur interminable, du genre rédhibitoire pour les claustrophobes comme moi...
Ainsi va la vie dans une ville qui continue à jouer avec mes nerfs : à 19h30, ce soir, en même temps que la corrida de Las Ramblas, se poursuit le cycle sur le quatre centième anniversaire de la mort de Cervantes, avec une conférence d'Andres Trapiello... Et me voilà comme l'âne de Jean Buridan, incapable de choisir entre son seau d'eau et sa gamelle d'avoine, lorgnant l'un (le retour d'Adame) puis l'autre (le sulfureux Trapiello qui sur le Quichotte a écrit de fort belles choses) sans pouvoir me décider. Dans ces cas-là, couper la poire en deux est souvent le pire choix...
Cinquième corrida de l'abonnement. Un quart d'entrée. Six toros de Las Ramblas dont deux bons (cinquième et sixième) pour Miguel Abellan (silence et silence), Manuel Jésus El Cid (silence et vuelta exagérée) et Joselito Adame (silence et vuelta).
C'est le genre de corrida pour laquelle il faut se motiver avec sérieux. Sinon on n'y va pas... Mettre la montre pour une sortie de sieste convenable, et se dire surtout qu'on a une chance inouïe d'être là, à Séville, de voir des toros dans la plus belle arène du monde, et qu'après tout, on ne sait jamais. Car ça fait plusieurs saisons déjà que le Cid nous tire de longs soupirs. Quant à Miguel Abellan, il nous avait plu l'an dernier, mais de là à retourner le voir...
Bien sûr, on fait le malin, mais au dernier moment on court vers la Maestranza (désolé pour Cervantes et Trapiello). On y court, car on ne sait jamais. Jamais...
Premier détail, la présence dans la cuadrilla du Cid de Curro Robles. Il était déjà hier dans celle de Miguel Angel Delgado, et avant hier dans celle d'Esau Fernandez. Le type ne laisse pas passer la saison des cerises.
Miguel Abellan a bien toréé le premier. On peut se demander ce que ça doit être quand il torée mal. En tous les cas, il n'a pas réussi à faire lever le moindre sourcil dans le public.
Le second infligea au banderillero Alcalareño une grosse branlée dont il sortit mâché, et quelques désillusions au Cid qui compose la figure et qui attend qu'on l'aide. Au cinquième, le torero de Salteras ouvrit la boîte à passes. Le toro avait du fond, de l'entrain, il aurait dû repartir sans ses oreilles, mais le Cid se contenta de se mettre vivement sur son passage. C'est désolant, mais manifestement il y a des gens à qui ça plait...
Pas un mot du mexicain me direz-vous ? Au contraire ! Au premier toro du Cid, Joselito Adame, qui revenait d'une sérieuse blessure subie à Valence, donna un très beau quite, par chicuelinas lentes. Son premier toro, lui, n'existait pas. Mais au dernier de l'après-midi, il fit sonner la musique dès la seconde série et finit par imposer en quelques gestes la lenteur et la profondeur qui manquaient jusque là. Hélas, l'estocade a recibir, fort bien lancée, finit par une brochette traversante du pire effet.
Sous le grand soleil andalou, la feria attend toujours le torero et le toro qui la feront décoller...
Miscellanées gourmandes (7)
Et le petit déjeuner, me direz-vous ? On le prend où, le petit déjeuner ? Bonne question, car lorsqu’on arpente une ville comme Séville, faite à ce point pour la marche à pied (pléonasme usuel), il vaut mieux commencer la journée par une collation appliquée. Nous préconiserons la classique et délicieuse tostada con jamon y aceite, accompagnée d’un café et d’un jus d’orange pressée.
Mais où le prendre ? Chez Flores, par exemple, au bout de la rue Reyes Católicos, avant San Pablo, qui matérialise, lorsque l’on vient de Triana, la véritable entrée dans la vieille ville.
Chez Flores, pour cet inimitable mélange et équilibre entre épicerie fine et cafétéria de quartier. Pour déguster son petit déjeuner avec dans le dos de grands rayons de vins et de fromages parfaitement sélectionnés, de jambons et d’embutidos, de conserves choisies… On préfèrera la petite salle du fond à la terrasse, certes ensoleillée, mais bruyante et bien près des voitures.
Et en partant, on pourra toujours se faire couper à la demande le jambon, le chorizo ou le lomo, conditionné sous vide et sous vos yeux, pour le ramener en France…
Flores, Calle San Pablo, 24 (+34 954 21 61 60)