Samedi 9 avril : classique éblouissant
Le beau père de Curro Romero est mort. C'est dans le journal du matin. Enrique Tello Pérez avait, hier encore, 91 ans. Le père de Carmen Tello, l'épouse du torero, était à Séville un gynécologue très connu. Le genre à avoir accouché une bonne partie de la population actuelle.
À part ça, la Feria de Mairena del Alcor a ouvert ses portes jeudi soir, avec l'illumination traditionnelle des 18 500 ampoules de la gigantesque porte. C'est la cinq cent soixante quinzième édition de la Feria de Mairena, ce qui en fait la plus ancienne d'Andalousie... Là-bas aussi, la moitié de la centaine de cassettes sont privées. On n'en sort pas. En l'occurrence, c'est pour y rentrer que le problème se pose. Essayez la cassette de la Hermandad de la Soledad (dites que vous venez de la part de Monseigneur Barbarin) et goûtez les petits sandwiches à la viande de pot-au-feu. Ça s'appelle des "pringaitas" et c'est à se jeter au sol pour récupérer les miettes...
Neuvième corrida de l'abonnement. No hay billetes. Six toros de Juan Pedro Domecq - Parladé pour Enrique Ponce, rouge sang et or (une grosse oreille et saluts aux tiers) José Mari Manzanares, bleu et or (saluts aux tiers aux deux toros) Andrés Roca Rey, saumon fumé (saluts aux tiers et vuelta).
C'est toujours très impressionnant, et relativement incompréhensible pour les français régicides que nous sommes, d'assister à l'arrivée dans les arènes du Roi d'Espagne, en exercice ou retraité (l'Espagne en ça ressemble beaucoup au Vatican, il y a deux papes, un qui sucre et l'autre pas). Lorsque Juan Carlos de Burbon fit son entrée sur les coups de 18h25 dans la loge royale de la Maestranza, les 11 999 spectateurs (on a noté l'arrivée, cinq minutes plus tard, d'un retardataire) se levèrent comme un seul, et applaudirent longuement le multirécidiviste adultérin, grand chasseur d'espèces protégées, qui dût voici deux ans laisser la place à son fils devant l'accumulation des scandales. Et encore n'était-il pas accompagné de sa sœur, Pilar, récemment impliquée dans los papeles de Panama... On dira que chez nous, Jacques Chirac n'a jamais été aussi populaire qu'en ce moment, mais on sent bien, en Espagne, que quelque chose de différent se joue. L'ovation, unanime, chaleureuse, a duré plusieurs minutes. Manifestement, c'est une part d'eux mêmes, profonde, complexe et riche, que les gens saluent ainsi.
Autre curiosité : lorsqu'Enrique Ponce a voulu brinder son premier toro "a su majestad", il a dû, juste avant, saluer le Président de la corrida. Ainsi, c'est certainement la seule fois où le protocole prévoit que le Roi ne passe pas en premier...
La musique de Ponce, on la connaît par cœur. Elle est douce, harmonieuse, intelligente. Et elle procure de la joie. On la connaît par cœur, et pourtant on ne s'en lasse pas. Il en va ainsi de ces grandes symphonies classiques que l'on peut écouter sans fin. Ponce est là, année après année, à un niveau impressionnant, et une régularité jamais égalée. Le corps relâché et le coeur sur l'ourlet de la muleta, il a dessiné à son premier une faena parfaite. Bien sûr, on aurait préféré un toro plus en colère, mais le travail de marquèterie de Ponce était en tout point remarquable, vernis final compris.
A ce niveau-là de perfection, de classicisme inspiré, il n'y a guère qu'un torero avec lequel on puisse le comparer : Jean-Sebastien Bach...
On ne dira rien de l'effort qu'il fit devant l'invalide quatrième : c'est une histoire entre lui et nous...
Évidemment, quand votre camarade qui saute en premier arrive à mettre la barre à ce niveau, vous avez du souci à vous faire. Manzanares traverse une passe moyenne, qui s'éternise. On le préférait quand il était en deuil. Le cinquième était un toro au galop franc et fort. Manzanares fit sonner la musique et les applaudissements. Mais la vérité, c'est que du début à la fin, il resta en dessous de ce qu'offrait l'animal.
Le jeune péruvien Andrés Roca Rey, lui, a les audaces d'un jeune député récemment élu. Il a de bonnes bases. Et au sixième, il montra un courage et un engagement impressionnants. Mais il lui faudra encore apprendre les subtilités de la vie parlementaire.
Cette arène est formidable. On se régale !...
Miscellanées gourmandes à Séville (10)
C'est un des grands classiques de la ville, et de la cuisine andalouse. Salas, 15 rue Almansa, dans le quartier de l'Arenal. Parce qu'on n'a pas tous les jours envie de traquer dans les petites rues ou les quartiers périphériques la dernière nouveauté, la perle rare qui va vous faire bénir vos chaussures et votre intuition. Parfois, on veut juste bien manger, et retrouver chaque chose à sa place, là où on les a laissées la dernière fois.
Ces jours-là, il ne faut pas hésiter. Salas est là qui vous attend avec sa carte rebondie, ses puntillitas croquantes, ses coquinas délicieuses, sa presa ou son secreto iberico fondants, et les revueltos, les œufs brouillés parmi les meilleurs de la cité. Goûtez aussi au riz, arroz a la marinera, qui vaut largement l'attente.
Zocato prétend qu'un jour, il a sauvé la vie au patron, salement menacé par le couteau d'un voyou. On ne sait pas trop comment il a fait. Il lui a sûrement raconté une histoire… En attendant, lorsqu'on va là-bas avec lui, on est toujours magnifiquement reçu...
Salas, calle Almansa, 15, +34 954 217 796