Mardi 12 avril : hoy torea Morante ?...
L'Andalousie vit cette année un printemps à faire mourir les allergiques. Avec l'Extrémadoure, c'est la région d'Espagne qui connaît cette année les plus fortes concentrations de pollens dans l'air, et ça se note... Entre 6000 et 9000 particules par mètre cube, ça vous met les bronches en feu, et l'on a parfois l'impression que la ville entière se mouche autour de vous.
Heureusement que ce matin les quelques averses ont nettoyé tout ça. On voit, sur les trottoirs, les petits tas de poussières jaunes qui s'agglomèrent ça et là. La première journée de Feria a été troublée par la pluie, et les traditionnelles norias de calèches et de chevaux se sont résumées à quelques timides allers retours.
Condamnée à deux ans d'incarcération pour avoir blanchi de l'argent sale issu des divers trafics de son compagnon, Julian Muñoz, l'ancien maire de Marbella, la chanteuse Isabel Pantoja, l'ancienne femme du torero Paquiri et vedette de la variété typique, est sortie de prison début mars, après quinze mois passés derrière les barreaux de la Centrale pour femmes d'Alcala de Guadaira.
La chanteuse y était entrée le 22 novembre 2014, à l'heure où l'on célébrait, dans la Cathédrale de Séville, les obsèques de la fantasque Cayetana Stuart-Fitz-James, dix-huitième Duchesse d'Albe... Deux chromos magnifiques et outranciers, deux images saturées de l'imaginaire sévillan quittaient brutalement la scène andalouse, l'une vers le crématorium, l'autre vers les écrous.
Dans le Diario de Sevilla de ce matin, avec ce mélange d'impudeur et de violence qui caractérise ici la presse, on apprenait que la chanteuse, en liberté conditionnelle, prépare pour l'automne prochain son retour sur les scènes espagnoles. Mais on nous racontait surtout qu'elle a passé le week-end dernier à la Clinique Santa Angela de la Cruz de Dos Hermanas, dans la banlieue de Séville, pour se préparer. La Pantoja a voulu, avant de retrouver son public, se soumettre à deux opérations de chirurgie esthétique. Et le journal de préciser avec tact qu'il s'agit en l'occurrence d'un remodelage mammaire et d'une réduction du ventre. On est ravi de l'apprendre, et toujours un peu surpris de la nature de l'affection que les andalous portent à leurs idoles...
Onzième corrida de l'abonnement. Pas loin du plein, mais pas. Six toros de Jandilla et un sobrero d'Albarreal pour Morante de la Puebla, noir et or (silence et silence), Diego Urdiales, berenjena et or (salut aux tiers et silence) et Alberto López Simon, rose et or (vuelta et silence)
Premier toro, invalide à terre. Changé. Un sobrero d'Albarreal rentre, invalide à mobilité restreinte. Pas changé.
Second, un toro laid, sans cou, sans forces, qui n'humilie pas, aux charges courtes et molles. Bien toréé par Urdiales, mais comme on aide avec élégance un petit vieux perdu à traverser un boulevard.
Le troisième sort avec un peu plus de gaz, mal piqué, baisse de ton. Faena lente de López Simon, avec quelques gestes choisis de la gauche. Mais c'est pas qu'il temple, c'est que le toro n'a pas la force d'aller vite.
Le quatrième permet presque à Morante de s'exprimer avec son capote (avec une énorme véronique, le corps dedans, qui fait rugir la Maestranza), mais manifeste bien vite des signes de faiblesses. Et il s'arrête à la seconde série, pour ne plus jamais repartir...
Le cinquième tient un peu plus debout, mais il sort de chaque passe en jetant la tête en l'air dans l'étoffe. Impossible.
Le sixième s'affale entre les deux mini-piques. Il cahote ensuite au ralenti dans la muleta de López Simon, comme une vieille concierge qui rentre ses poubelles.
Bref, un lot homogène.
Quand on voit une corrida comme celle, aujourd'hui, de Jandilla, on est content de ne pas être obligé de faire quatre-vingt lignes de compte-rendu, comme certains prestigieux confrères. Ce n'est certainement pas le lieu, dans cet humble blog taurin gourmand, de poser la question du devenir de la fiesta brava. En général, mes fatigues, je les garde pour moi. En mis aburrimientos, mando jo... Mais on est bien obligé de constater que certains des sous-produits de la maison Domecq qu'on nous inflige dans ces ferias d'avril donnent plus envie de fréquenter les bars que les arènes. Les doctes conversations des aficionados locaux tournent le plus souvent autour de la définition du fameux "Toro de Séville", dont ils ont la bouche bien remplie. Mais pour l'instant, et à quelques rares et agréables exceptions près, la seule caractéristique indigène semble être le manque de race, de caste, et d'à peu près tout ce qui fait un toro. Quand on gonfle exagérément les carcasses, pour dépasser d'au moins 100 kilos le poids normal de l'animal, il ne faut pas s'attendre à autre chose. Désolé, mais sur cette pente là, on risque plus de finir au caniveau que sur l'Olympe...
Le plus exaspérant dans tout ça, c'est que le système tout entier cautionne cette ineptie, et se resserre frileusement sur les bénéfices à partager. Car sur quels journalistes indépendants pourrait-on compter pour mettre les pieds dans ce plat ? Sur les gentils collabos de Canal + Espagne, qui vendent l'invendable chaque après-midi ? Qui désignent les nouveaux toreros, ceux qui ont le droit d'être invités au banquet, et ceux qui ne l'ont pas ? Au fait, la femme de David Casas, un des journalistes clés du système Canal +, est la chargée de presse d'Alberto López Simon. On ne sait pas comment on dit "conflit d'intérêt" en espagnol, mais jusqu'à preuve du contraire, ça n'a l'air de gêner personne !...
À part ça, Julio Aparicio, assis devant nous, boit du Whisky-Coca, mange des noix de cajou par paquets, et fume des Winston. Manifestement, c'est cicatrisé...
Miscellanées gourmandes à Séville (12)
Le Pot-au-feu (cocido, ou puchero - et même puchera chez les gitans de Lebrija) est aussi, contrairement à ce qu'on pourrait penser, un plat traditionnel de la cuisine andalouse. Mais on le trouve assez rarement sur la carte des restaurants. Il faut dire que par quarante degrés à l'ombre, vous avez plus envie de proposer une soupe glacée à la tomate. Mais il existe, le Pot-au-feu, et avec lui la même question gourmande : qu'est-ce qu'on fait avec les restes ? Chacun répondra à sa manière, entre fricasser le lendemain dans une poêle, à l'huile d'olive, les restes de viandes et de légumes (rajouter un peu d'ail frit !) ou servir tout ça en salade fraîche, bien assaisonnée...
Le Pot-au-feu andalou est très riche, très parfumé. A l'époque médiévale où il fallait toujours donner la preuve de votre pureté de sang (c'est à dire que vous n'étiez pas juif...), le fait de rajouter à profusion du lard et du cochon dans votre soupe vous mettait à l'abri de l'Inquisition, au moins jusqu'au prochain repas de quartier. C'est comme ça que naissent les traditions culinaires. Et le cholestérol...
La manière andalouse de traiter les restes de Pot-au-feu est succulente. Prenez la viande : elle est, on vient de le voir, très parfumée. Pressez-là à la fourchette, et servez dans de petits sandwiches, brièvement passés au gril. Ça s'appelle une pringá, avec accent sur la dernière lettre, et vous trouverez les meilleures à la bodegita Romero, pas loin de la place de la Mairie.
Dans cet endroit, très sévillan, ne ratez pas non plus l'autre spécialité, le carpaccio de morue au salmorejo. La morue est présentée, crue, coupée en très fines tranches, baignant dans l'huile d'olive. On prépare une tranche de pain que l'on recouvre de salmorejo, ce gaspacho épaissi à la mie de pain, on pose la morue par dessus et on gobe, en essayant de ne pas martyriser sa chemise. C'est peut-être le plus compliqué de l'exercice. On a même vu certains philosophes, pourtant capables de tordre Aristote dans tous les sens, échouer tragiquement à garder là un quant-à-soi vestimentaire acceptable...
Bodegita Romero, Harina, 10